The Sun Shines Bright :

La nostalgie de lĠAgora ou High Noon, le vote sans isoloir

 

ÒMaybe thereĠs one that I love to look at again and again. ThatĠs The Sun Shines Bright. ThatĠs really my favorite.Ó

John Ford[1]

 

Sorti le 2 mai 1953 aux Etats-Unis, The Sun Shines Bright a ŽtŽ trs mal reu. Sans acteurs de renom, ce petit film en noir et blanc et en 1.37, le format standard[2], a mme ŽtŽ ŽreintŽ par la critique amŽricaine pour ses trop nombreux clichŽs (en franais dans le texte) et son sentimentalisme dŽsuet. PrivŽ dĠavant-premire ˆ New York, amputŽ par le distributeur de 25 minutes ds le dŽbut de son exploitation, le film fut un cuisant Žchec au box-office qui va mme provoquer la liquidation dĠArgosy Pictures, la compagnie de production crŽŽe par Ford et son ami Merian C. Cooper en 1939. Ce 13me film depuis le retour ˆ la vie civile de lĠAdmiral a certes ŽtŽ distribuŽ par Republic Pictures, un studio de la poverty row[3]. Mais aprs le succs et lĠoscar lĠannŽe prŽcŽdente pour The Quiet Man produit par Republic et Argosy, le quatrime de sa carrire, Ford a choisi une totale libertŽ en ne faisant produire son film que par Argosy. Paradoxalement, son apparence modeste ne doit pas cacher lĠimportance du propos ˆ tel point que The Sun Shines Bright qui a ŽtŽ compltement rŽŽvaluŽ aujourdĠhui, est lu dŽsormais comme la quintessence de lĠÏuvre fordienne. Et cĠest ce qui explique Žgalement que Ford a soutenu ˆ de nombreuses occasions que ce film Žtait son prŽfŽrŽ donnant ainsi raison ˆ David Selznick[4]. Ce choix rŽaffirmŽ a, sans doute, conduit les analystes ˆ relire avec plus dĠattention ce "petit" film mme si, aujourdĠhui encore, quelques critiques le considrent toujours comme "A heavy mix of mushy sentimentality and low-brow comedy"[5], mais ils se font de plus en plus rares.

 

Au tournant du sicle, entre la fin du XIXe et les dŽbuts du XXe[6], The Sun Shines Bright prend pour cadre Fairfield, une petite ville du Kentucky, un Etat de la frontire, officiellement neutre pendant la guerre de sŽcession mais, de fait, sudiste et Žvidemment profondŽment divisŽ par le conflit. ResserrŽ, le rŽcit se dŽroule sur trois jours : les deux journŽes qui prŽcdent lĠŽlection des autoritŽs du comtŽ et le jour des Žlections qui sĠachve par une parade en lĠhonneur du Juge nouvellement rŽŽlu. Au centre du rŽcit donc, ce moment fort de la vie dŽmocratique, le vote, importance redoublŽe par le fait quĠil sĠagit dĠŽlections locales qui concernent directement la vie des habitants de Fairfield dĠautant quĠaux USA, les citoyens vont pouvoir choisir leurs reprŽsentants de la loi.

 

LĠapparente simplicitŽ et la sobriŽtŽ du propos comme de lĠŽcriture cinŽmatographique[7] masquent ˆ dessein la rŽelle complexitŽ du rŽcit. En effet, celui-ci entremle quatre lignes dramatiques[8] vŽcues par une vingtaine de personnages qui se dŽroulent dans les limites de la ville et qui se dŽnouent dans cette trs courte unitŽ de temps. Tag Gallagher parle avec justesse de "Mozartian concision"[9]. Parmi tous les personnages haut en couleurs de cette petite ville, le film se focalise sur le Juge William Pittman Priest[10] (Charles Winninger) qui brigue un nouveau mandat. Sžrement son dernier, car le Juge est un vieil homme au soir de sa vie. Il soigne ses problmes cardiaques avec sa "mŽdecine", un alcool fort quĠil dissimule ˆ son mŽdecin et ami et surtout aux femmes adhŽrentes ˆ la ligue de tempŽrance qui certes nĠont pas le droit de vote mais contr™lent celui de leur mari... Nous sommes bien dans un film de Ford. 

 

A la veille dĠŽlections qui cristallisent les antagonismes, la ville est scindŽe en deux camps. Les divisions du pays traversent Fairfield : dŽmocrates contre rŽpublicains, vŽtŽrans du Sud menŽs par William Priest lui-mme contre ceux du Nord, ceux qui rŽvrent ÒMarching through GeorgiaÓ contre ceux qui prŽfrent jouer ÒDixieÓ, etc. Des dŽcennies aprs la reddition du gŽnŽral Lee, la guerre nĠest pas vraiment finie : les uniformes "gris" et "bleus" continuent dĠtre portŽs dans lĠespace public. Certes les vŽtŽrans sudistes saluent le drapeau des USA en rŽaffirmant le principe "One country, one flag", mais ils ™tent leur chapeau et le mettent sur leur cÏur pour honorer celui de la ConfŽdŽration. Billy Priest convoque mme le pote pour lĠoccasion :

ÒGashed with honourable scars,
Low in Glory's lap they lie;
Though they fell, they fell like stars,
Streaming splendour through the sky.
Ò[11]

 

La proximitŽ attŽnue cependant les diffŽrents idŽologiques qui cdent devant les qualitŽs humaines. Le responsable des vŽtŽrans nordistes, Jody Habersham (Henry O'Neill), vient rŽcupŽrer son drapeau ˆ la rŽunion des anciens combattants sudistes. Et mme si "il prŽfŽrerait se trancher la gorge plut™t que de voter dŽmocrate", il avoue sa profonde estime ˆ Billy Priest. Jody Habersham sera le premier ˆ le rejoindre lors des funŽrailles ou ˆ le rŽconforter aprs la premire proclamation des rŽsultats en lui serrant la main et en le qualifiant de "galant folk". En retour, cĠest Billy Priest lui-mme qui rapporte le drapeau "empruntŽ" par un de ses camarades tellement zŽlŽ quĠil se refuse ˆ rendre "le drapeau pris ˆ lĠennemi". Pragmatique, le Juge, pour qui le comportement butŽ de son compagnon dĠarmes prte ˆ sourire, saisit lĠopportunitŽ pour rencontrer les anciens combattants nordistes et faire un peu de propagande pour son Žlection tout en clamant haut et fort "no politics".

 

Ces fractions sĠaffrontent jusque dans le prŽtoire. Le rŽcit dŽbute le matin du premier jour avec lĠaudience au tribunal o William Priest arrive en retard malgrŽ les rappels ˆ lĠordre de son serviteur zŽlŽ Jeff Poindexter (Stepin Fetchit). Dans lĠenceinte du tribunal, le vieux Juge doit faire face ˆ son adversaire direct ˆ lĠŽlection, Horace K. Maydew (Milburn Stone). Ce rŽpublicain, Òa son of a carpetbagger of BostonÓ, est un lawyer dynamique qui plaide avec beaucoup dĠemphase et en utilisant des formules creuses tout comme dans ses discours Žlectoraux. Mais plus grave, il instrumentalise sa pratique juridique ˆ des fins Žlectoralistes[12]. Ainsi, il prŽtend prendre la dŽfense de Pleasant Woodford (Ernest Whitman), un vieil homme noir, dont le neveu, U. S. Grant Woodford, ne sĠoccuperait pas assez de lui, mais ne lui donne pas la parole. En revanche, William Priest se souvient de lui, le reconna”t, le traite avec humanitŽ et le laisse surtout sĠexprimer mme sĠil lĠappelle "Uncle Plez", une pratique familire propre ˆ la sŽgrŽgation. Enfin, il trouve une solution pratique en proposant un travail ˆ U. S. Grant. Horace Maydew tra”ne devant le tribunal Mallie Cramp (Eve March), la tenancire de la maison close[13], au nom du respect des bonnes mÏurs, mais il lĠappelle par son prŽnom et ne cache pas son mŽpris alors que le Juge lui donne du "Mrs Cramp" et lĠinvite ˆ sĠasseoir. Ds les premires images du film, les oppositions sont posŽes et incarnŽes. 

 

Au-delˆ des divisions communes ˆ tout le pays, Fairfield vit une situation singulire qui confre ˆ la fiction son originalitŽ et constitue une des lignes dramatiques : les vŽtŽrans sudistes ont collectivement adoptŽ Lucy Lee mme si cĠest le docteur Lewt Lake (Russell Simpson) qui lĠa ŽlevŽe. Lucy Lee est la petite fille de leur gŽnŽral qui, lui, ne la reconna”t pas et nĠassiste plus aux rŽunions des anciens combattants depuis dix ans. Il refuse toute filiation parce que Lucy Lee est le fruit des amours illŽgitimes entre son fils et une femme de mauvaise vie. Son fils ayant mme perdu la vie au cours dĠune rixe avec un joueur professionnel, rixe provoquŽe ˆ cause de cette femme. Et cĠest prŽcisŽment elle qui dŽbarque le soir du premier jour, gravement malade pour venir mourir chez Mallie Cramp.

 

Enfin, la sŽgrŽgation est bien reprŽsentŽe dans le film conformŽment ˆ la doctrine entŽrinŽe notamment par lĠarrt de la Cour suprme de 1896 dans lĠarrt cŽlbre Plessy v. Ferguson : Separate but equal.  Dans lĠEtat de lĠOncle Tom, les noirs semblent bien accepter leur sort. Dans la mesure o ils restent ˆ la place qui leur est assignŽe, ils sont bien traitŽs en premier lieu par le Juge qui entretient une relation Žtroite presque fusionnelle avec son domestique. Cependant ils vivent dans un quartier excentrŽ et visiblement trs pauvre : le contraste est Žvident entre leur "cases" et les nobles demeures des Blancs notamment celle trs "sudiste" du gŽnŽral ou celle des Corwin. Les enfants noirs suivent dans leur Žglise des cours donnŽs par Lucy Lee, leur institutrice : ils ne bŽnŽficient pas dĠune vŽritable Žcole et Lucy Lee affiche ainsi sa marginalitŽ.

 

ConformŽment aux stŽrŽotypes[14], ce sont eux qui sont ˆ lĠorigine de presque toute la musique diŽgŽtique du film. Le Juge souffle bien de temps en temps dans son clairon y compris dans lĠenceinte du tribunal : en jouant ainsi avec des noirs, il se place dans une position dĠŽchange Žgalitaire, qui fait de lui un mŽdiateur entre les communautŽs, un porteur dĠapaisement. Ds les premires images du film, cĠest un noir assis sur des ballots de coton qui joue un air trs gai de banjo ˆ lĠarrivŽe du vapeur : lĠimagerie commune du Sud est ˆ lĠÏuvre. LĠorchestre est composŽ entirement de musiciens noirs pour le bal o ils ne sont pas conviŽs. Pour clore la sŽquence du bal,  lĠorchestre reprend le thme "Sweet Genevieve" ; reprise car sous forme de musique de fosse[15], "Sweet Genevieve" accompagne chaque moment de tension dramatique. Un cÏur de noirs accueille le corbillard en chantant un gospel et en se balanant en mesure mais ces participants resteront sur le pas de leur propre Žglise. Dans la dernire sŽquence, le cÏur revient toujours menŽ par "Uncle Plez" et accompagnŽ par U.S. Grant au banjo pour donner lĠaubade finale alors que les noirs nĠont pas pris part au dŽfilŽÉ

 

La question extrmement sensible du vote des noirs nĠest pas clairement explicitŽe. Le Juge Priest commente les remerciements de U.S. Grant quĠil vient de sauver par : "I know, I know, Boy, but youĠre to young to vote" laissant entendre ainsi que plus ‰gŽ, il le pourrait. Mais ˆ part Jeff, il nĠy a pas de noirs prs du bureau de vote et ils sont mme compltement absents dans la foule qui se presse dans la rue le matin des Žlections. Si thŽoriquement, ils ont le droit de vote depuis le XVme amendement adoptŽ en 1869, une sŽrie de conditions restrictives mises ne place ˆ partir de 1876 empche concrtement les noirs dĠexercer ce droit dans les Etats du Sud : payer une taxe pour pouvoir voter, faire un test de comprŽhension des grands textes, avoir un pre ou un grand-pre dŽjˆ inscrit sur les listes Žlectorale avant le vote du XVme amendement, etc. Parmi toutes ces dispositions, la privation des droits civiques suite ˆ une condamnation permettait Žgalement dĠexclure une grande partie de la population noire dĠautant que ces condamnations concernaient une longue liste de crimes et dŽlits : journaliers, les Noirs au ch™mage cherchant ˆ louer leurs bras Žtaient souvent condamnŽs pour vagabondage, ce qui suffisait pour entra”ner une perte de leurs droits civiques. AujourdĠhui encore prs dĠun demi-sicle aprs The Voting Rights Act[16], le Kentucky reste un Etat dans lequel la proportion dĠafro-amŽricains privŽs de leurs droits civiques est lĠune des plus importante aux Etats-Unis. LĠarticle 145 de la quatrime constitution du Kentucky, celle de 1891 toujours en vigueur, prŽvoit que seule une gr‰ce du gouverneur[17] peut rŽtablir un condamnŽ dans ses droits : procŽdure compliquŽe et surtout discrŽtionnaire.

 

Afin de rendre ces dispositions encore plus efficaces, lĠintimidation et la violence furent systŽmatiques : le Ku Klux Klan fut fondŽ principalement ˆ cette fin. Cette politique a portŽ ses fruits : dans les annŽes 1940, seulement cinq pour cent des noirs Žtaient inscrits sur les listes Žlectorales dans les Etats du Sud. Dans le film en Žcho aux exactions du Klan, lorsque la bande de lyncheurs envahit la ville, ils nĠapparaissent pas tout de suite ˆ lĠŽcran. Mais le spectateur entend une bande son qui mle une musique dramatique, des aboiements et des coups de feu, et voie, dans une sŽrie de plans rapides ˆ la limite de lĠexpressionnisme dont Ford Žtait un fervent admirateur, les noirs se rŽfugier rapidement chez eux et fermer portes et fentres. Ils montrent ainsi quĠils ont dŽjˆ vŽcu ce genre dĠŽvŽnement ou en ont entendu parler, quĠils savent ˆ quoi sĠen tenir et quĠil nĠexiste pas dĠautre issue que dans la fuite. Du reste, le shŽrif adjoint fait de mme bien quĠil soit blanc, dŽpositaire de lĠautoritŽ publique (il porte son Žtoile) et, par consŽquent, armŽÉ Mais les citoyens le sont tout autant. Ce qui rŽduit Žvidemment lĠexercice du "monopole de la violence lŽgitime", limite ainsi les prŽrogatives de la puissance publique et explique lĠattachement dĠun grand nombre de citoyens amŽricains au droit au port dĠarmes.

 

Si les blancs sĠaffrontent et nĠhŽsitent pas ˆ avoir recours ˆ la violence, les noirs semblent unis et pacifiques. Lors de la parade finale, les blancs dŽfilent dĠun pas martial au son du tambour. Ils entrent par le bord droit du cadre pour traverser lĠŽcran devant le Juge sur le pas de sa porte. Les noirs attendent la fin de la parade – mme en ce moment de rŽjouissance, ils ne croiseront pas les blancs - et entrent en dŽsordre par la gauche du cadre en marchant doucement au rythme lent de la ballade quĠils chantent. Au service des blancs, ils font mme fonction dĠanges gardiens : "Uncle Plez" a rapportŽ le corps de son ma”tre, Bainbridge Corwin, tuŽ ˆ la bataille de Chickamauga[18] dans ses bras et prend soin dŽsormais de son fils, Ashby, un jeune ma”tre aux mÏurs bien dissolus quĠil nĠhŽsite pas ˆ rŽprimander fermement (cĠest le seul moment dans le film o un noir fait montre dĠun peu de sŽvŽritŽ et hausse le ton) ; quant ˆ Jeff, cĠest vraiment la nounou du Juge Priest[19].

 

Durant cette pŽriode prŽŽlectorale et par deux fois, le Juge accomplit son devoir dĠhonnte homme sans prendre en compte les possibles effets dŽsastreux sur sa future Žlection, effets quĠil a, du reste, parfaitement, identifiŽs : il sauve du lynchage un jeune noir injustement accusŽ de viol et accepte le r™le de ma”tre de cŽrŽmonie pour les funŽrailles de la mre de Lucy Lee, cette femme perdue. Ces deux ŽvŽnements permettent de mettre en scne lĠopposition irrŽductible entre la foule anonyme et dangereuse et le comportement individuel.

 

Le Juge incarne la Loi

Le premier jour sĠachve par la prŽsentation au Juge de U. S. Grant Woodford, accusŽ du viol de Mendy Ramser, une jeune fille blanche du district de Tornado. Aprs avoir tancŽ Andy Redcliffe (Mitchell Lewis) son shŽrif et ami en lui demandant dĠarrter de "faire la chasse ˆ lĠenfant", William Priest exprime ouvertement son scepticisme quant ˆ la culpabilitŽ du jeune noir Žtablie par ces "bloodhounds" quĠil tient pour des "fool dogs" et il promet au jeune homme un procs Žquitable. Il cl™t lĠentretien en ordonnant au shŽrif de donner une cellule propre ˆ U. S. Grant, de prendre soin de lui et surtout, au mŽpris de toute impartialitŽ, de trouver le vŽritable coupable.

 

Fondu au noir pour clore la journŽe.

 

Le lendemain, il doit affronter la "meute des honntes gens" mais un peu rustres de Tornado[20] qui ne tiennent pas ˆ ce que les dŽtails du viol soient rapportŽs lors dĠun procs public et veulent en terminer sur le champ. Le groupe est conduit par le pre et le frre de Mendy et un meneur, Buck Ramsey (Grant Withers) qui brandit une corde promise au cou du jeune noir. Comme le shŽrif est ˆ la pche, que son adjoint sĠest enfui ˆ lĠapproche de ceux de Tornado et quĠil est bien trop tard pour faire appel ˆ lĠarmŽe (dans ces circonstances, il ne faut pas trop compter sur les autoritŽs locales), Billy Priest affronte seul la foule ; en retrait assis devant la fentre de la prison, "Uncle Plez" a demandŽ ˆ assister ˆ la scne pour apporter un rŽconfort ˆ son neveu[21] et un soutien moral au Juge, attitude discrte mais fort courageuse.

 

Le Juge brise lĠunitŽ du groupe en sĠadressant individuellement dĠabord au frre de la victime qui vient dĠarmer son fusil. Il lui rappelle que Teddy Roosevelt[22] lui a donnŽ cette arme pour dŽfendre la LibertŽ pas pour la dŽtruire ce quĠil sĠapprte ˆ faire en bafouant par le lynch lĠEtat de droit. A lĠaide de son parapluie [donnant ainsi une fonction ˆ ce parapluie quĠil transporte pendant tout le film sans jamais lĠouvrir puis quĠil fait effectivement, comme le titre du film lĠindique, un beau soleil], il trace ensuite une ligne sur le sable devant la prison et menace dĠabattre le premier qui la franchira mais il prend soin dĠinterpeller nommŽment Buck quĠil a bien identifiŽ comme le meneur et lĠavertit quĠil tirera sur lui avant dĠtre abattu. Comme il se souvient quĠil est en pleine campagne Žlectorale, il tient ˆ prŽciser ˆ Beaker (Jack Pennick), une sorte de meneur en second, qui porte dĠune main une corde et de lĠautre un cruchon de gn™le : "I am to conduct myself so you vote to me next day" en soulignant le "you" et en le montrant du doigt, toujours pour briser lĠanonymat de la foule alors que bien Žvidemment il sĠadresse ˆ lĠensemble des lyncheurs. Comme le pre de la victime qui a bien saisi le message, rŽpond quĠils voteront tous pour lui sĠil sĠŽcarte de leur chemin, le Juge rŽplique avec fermetŽ : "If thatĠs the price of your support, I wonĠt pay".

 

Aprs un faux raccord [en plan amŽricain, Buck et le Juge se font face et semblent nĠtre quĠˆ quelques centimtres lĠun de lĠautre - Buck a bien dž franchir la ligne - alors quĠau plan suivant, en plan plus large, Buck se tient plus ŽloignŽ comme si il avait respectŽ lĠinterdit] et ayant rŽussi ˆ briser dĠabord lĠanonymat puis lĠunanimisme de la foule en affichant sa dŽtermination et en faisant appel ˆ la vertu (le frre) ou en jouant sur la l‰chetŽ (Buck), le Juge Priest contraint ceux de Tornado ˆ  renoncer ˆ leur funeste projet et sauve ainsi, sans recours ˆ des grandes envolŽes lyriques ˆ la Maydew, et le jeune U.S. Grant et la LibertŽ...

 

Sans le savoir, il vient dĠappliquer la technique utilisŽe par le jeune Lincoln dans des conditions similaires ou du moins la mŽthode rapportŽe par John Ford dans Young Mister Lincoln[23] : la puissance du verbe contre la violence de la foule. Le jeune M. Lincoln (Henry Fonda) combat un adversaire politique identique, beau parleur et bien mis, Stephen Douglas qui ressemble trait pour trait ˆ Horace Maydew [dĠautant quĠil est incarnŽ par le mme acteur Milburn Stone] et il interpelle mme, parmi les lyncheurs, un individu prŽnommŽ Buck et ˆ la sale gueule (lĠincontournable Jack Pennick[24]). Enfin au tribunal comme le Juge de Fairfield, Lincoln affronte son adversaire qui instrumentalise Žgalement le procs ˆ des fins Žlectoralistes mais de manire indirecte : dans la mesure o il nĠest pas prŽsent dans le prŽtoire, Stephen Douglas a partie liŽe avec lĠavocat de lĠaccusation John Felder (Donald Meek) dont les discours pompeux endorment littŽralement le Juge : ÒHumor is a perfect antidote to the sentimentality and exaggerated farce, but also to the rhetoricÓ[25]. Et cĠest bien la rhŽtorique que le Juge cher au cÏur de Ford nĠentend pas, lui prŽfŽrant simplement la justiceÉ

"C'est que la gŽnŽralitŽ de la loi appelle cette attention flottante d'un juge sourd ˆ la rhŽtorique dont les dŽfenseurs de l'ordre Žtabli habillent leurs prŽjugŽs, mais habile ˆ dŽterminer les conditions de la juste application de la rgle au cas particulier."[26]

 

Comme au cours du procs, le jeune Abe Lincoln se fait reprendre par son adversaire sur un point de procŽdure, il rŽplique : "I may not know so much of law, but I know what's right and what's wrong, and I know what you're asking is wrong". Profession de foi que le Juge Priest a certainement fait sienne et qui est Žvidemment celle de John Ford. En revanche, contrairement au hŽros national, sans doute conscient de ses limites et instruit par sa longue expŽrience, le vieux Juge sĠest muni dĠun gros revolver pour rendre son verbe plus persuasifÉ

 

La foule repartie, le Juge refuse que "Uncle Plez" lui baise la main mais le presse dĠaller lui chercher sa "mŽdecine" pour faire repartir son cÏur.

 

Sous le porche de sa maison, tous les proches de William Priest profitent du calme de la soirŽe pour souffler un peu.  Le tailleur dĠorigine allemande, Herman Felsburg[27] (Ludwig Stšssel) nĠa pas fini de commenter la journŽe catastrophique pour lĠŽquipe de prŽtendants ˆ un emploi public - the sheriff, the county physician, the dog catcher and the judge – promis au ch™mage ˆ brve ŽchŽance que Mallie Cramp se prŽsente et demande ˆ tre reue par le Juge. Elle vient lui annoncer que la mre de Lucy Lee est dŽcŽdŽe et quĠelle a demandŽ sur son lit de mort dĠavoir des funŽrailles "normales" dans la ville qui lĠa vu na”tre : une Žglise, des fleurs, un rayon de soleil sur son cercueil, un corbillard, un "preacher" pour lire la bible et des personnes pour prier pour le repos de son ‰me...

des funŽrailles "normales" ?

Si Mallie Cramp vient le voir, selon son propre aveu sollicitŽ par le Juge, cĠest quĠelle nĠa pas osŽ demander ˆ un "preacher" qui, si il avait acceptŽ, aurait "ruinŽ sa rŽputation" en accompagnant une femme de mauvaise vie dans son dernier voyage. Le Juge ne peut que commenter par un "I know, I know" rŽsignŽ mais aprs avoir ouvert la Bible, il raccompagne Mallie Cramp et cl™t la sŽquence par : "The Lord will provide".  

 

La scne du bal qui suit souligne, ˆ nouveau, les antagonismes toujours non rŽsolus. Le "Grand Lemonade and Strawberry Festival" est organisŽ par les femmes de la ligue de tempŽrance et prŽsidŽ par Amora Ratchitt (Jane Darwell) secondŽe par une dame en noir (Mae Marsch), son double qui valide bruyamment le compliment - "I declare : YouĠre the prettiest girl at the party !" - quĠAmora adresse ˆ toutes les jeunes filles qui se prŽsentent devant elle au bras dĠun cadet : Žvidente, la convention sociale est acceptŽe par tous. Pendant toute la durŽe du bal dont la fonction chez Ford est justement soit de souligner les antagonismes soit de rŽaffirmer lĠunitŽ de la communautŽ, les vŽtŽrans sudistes resteront ˆ lĠextŽrieur et nĠy prendront pas part dĠautant quĠils ne sont gure amateurs de limonade : reprŽsentants du petit peuple, ils ne font pas vraiment parti du beau monde. Pour souligner cette exclusion, Herman Felsburg esquisse un pas de danse en regardant ˆ travers la fentre Lucy Lee et Ashby danser.

 

En revanche, Horace Maydew (comme le jeune Mister Lincoln du reste) est bien ˆ lĠintŽrieur ; trs ˆ lĠaise, il en profite pour faire campagne notamment auprs dĠAmora Ratchitt, identifiŽe comme un leader dĠopinions. Heureusement que Brother Finney (Francis Ford dans son dernier film) a apportŽ son habituel cruchon quĠil a rempli de fraises fra”ches offertes par le bal (bien Žvidemment, ce sont des noires derrire la table qui assurent le service) : les vŽtŽrans peuvent porter un toast avec leur limonade "amŽliorŽe" gr‰ce au "refreshment" du Backwoodsman[28] (cĠest lĠunique mot prononcŽ par Francis dans ce film et par consŽquent son dernier au cinŽma !), toast au magnifique couple formŽ par Lucy Lee et Ashby.

 

La sŽquence du bal sĠachve par lĠarrivŽe de lĠadjoint du shŽrif avec Buck Ramsey menottŽ qui a ŽtŽ identifiŽ comme le vŽritable violeur de Mendy. Buck sĠenfuit. Brother Finney lĠabat dĠune seule balle. Le Juge esquisse un petit sourire et, pragmatique, commente simplement : ÒGood shootinĠ, comrade, saves the trialÓ. Fondu au noir.

 

CĠest jour dĠŽlection : les fanfares sillonnent la ville et emplissent la bande son. Horace Maydew harangue ses partisans avec sa fougue habituelle et ses formules creuses. CadrŽ en plan amŽricain, il ne termine pas sa phrase ; deux de ses adjoints entrent dans le champ et regardent sidŽrŽs comme lui hors-champ. Raccord sur leur regard, un corbillard blanc menŽ par deux chevaux blancs, juste derrire le Juge puis une calche avec Mallie Cramp et quatre de ses "pensionnaires". CĠest la sŽquence pivot du film, une sŽquence inoubliable. Ford prend le risque de rompre avec le rythme gŽnŽral et trs classique [depuis lĠavnement du parlant, la norme ˆ Hollywood pour un film de  90 minutes est dĠenviron 600 ˆ 700 plans] du film : en lĠespce 640 plans soit une moyenne de 8,3 secondes par plan. La sŽquence dure 7 minutes et 15 secondes et ne se compose que de 16 plans pratiquement muets aprs un Žchange qui pose lĠenjeu de lĠŽvŽnement entre Amora et son double dans une calche. Comme Amora sĠŽtonne de ne pas conna”tre lĠidentitŽ de la personne dŽcŽdŽe, son double, lorsquĠelle comprend de qui il sĠagit, dŽclare : "No decent women will ever speek to Billy Priest for now on" et Amora rŽplique "No, I donĠt suppose they will" avant de descendre de la calche pour rejoindre les funŽrailles dĠun pas dŽcidŽ. LĠenjeu de cette sŽquence pivot est bien de montrer o rŽside la "dŽcence" : dans la stigmatisation de la femme de mauvaise vie ou dans la reconnaissance dans chaque tre, fžt-il le dernier des pcheurs, de son appartenance ˆ lĠhumanitŽ et mme si cela doit en cožter comme le souligne Jeff en voyant passer le cortge : "Moi et le juge, nous ne serons plus Žlus maintenant".

 

A lĠemphase de Maydew, Billy Priest rŽpond en marchant seul dans son costume blanc de tous les jours avec son chapeau noir sur la tte, son parapluie et un livre – tous les spectateurs amŽricains identifient la Bible - sous le bras entre le corbillard blanc et une calche o se pressent cinq femmes en noir : le discours contre le comportement, les mots contre le geste.

"Les funŽrailles de la femme indigne, magistral exercice orchestrŽ ˆ la faon tranquille et puissante de Ford. DŽlectable morceau de cinŽma en vŽritŽ que ce convoi funbre rythmŽ par le seul crissement des roues sur le sol graveleux [É], conduit par le petit juge qui ne craint pas de marcher seul devant la calche qui transporte la Ç maison È au grand complet. La simple image de ces dames, drapŽes dans une morgue dŽfensive, dans cette rŽprobation muette ˆ lĠŽgard des Ç honntes gens È qui nĠest, pour elles, quĠun autre rŽflexe de dŽfense, - car en profondeur elles sont toutes Ç respectueuses È – vaut toutes les descriptions littŽraires."[29]

Le vieux Juge contraint, du mme coup, ses concitoyens ˆ choisir de venir le rejoindre en silence ou de se moquer de lui bruyamment. Ce que ne manque pas de faire ces femmes bien convenables, propres sur elles, lĠombrelle sur lĠŽpaule qui ont lĠhabitude de chasser hors de la communautŽ les prostituŽes et les mŽdecins alcooliques (Stagecoach, 1939) et que Ford dŽtestent et ne manquent jamais de brocarder. Mais ce choix, il faudra que les citoyens de Fairfield lĠexpriment en pleine rue sous le soleil de midi : sans Žchappatoire, un tre humain ne peut pas toujours disposer dĠun isoloir pour exprimer ses opinions.  

 

De fait, la marche digne de Priest force le respect des honntes gens. Et cĠest Jody Habersham, le chef des vŽtŽrans nordistes, qui est le premier ˆ le rejoindre aprs avoir fendu un groupe dĠimbŽciles riant ostensiblement. Ensuite, individuellement, tous les personnages mis en avant par la fiction viennent, un ˆ un, se ranger ˆ ses c™tŽs derrire le Juge ˆ lĠexception dĠHorace Maydew bien entendu. Seul le bruit des roues du corbillard et de la calche ainsi que ceux des pas de plus en plus fort ˆ mesure que la foule grossit derrire le Juge rompent le silence. Ds lors, la sŽquence des funŽrailles devient lĠexact opposŽ de celle du lynchage. DĠun point de vue cinŽmatographique, son et image diffrent : une musique redondante contre le silence, un montage nerveux contre un rythme lent, des gros plans expressionnistes contre des plans larges et surtout le silence du Juge comme rŽponse ˆ la logorrhŽe dŽmagogique de son adversaire alors que dans la sŽquence du lynch, il a su user du verbe et trouver les mots justes et quĠil saura retrouver son Žloquence pour "jouer" son r™le de preacher. DĠun point de vue idŽologique : un choix personnel assumŽ car visible aux yeux de tous contre une foule anonyme o ses participants ont abdiquŽ leur propre libre arbitre et se dissimulent derrire lĠanonymat procurŽ par le nombre.

 

Le cortge traverse la ville des beaux quartiers jusquĠˆ celui des noirs pour sĠarrter devant leur Žglise ; le Juge rompt le silence en donnant des ordres pour faire porter le cercueil ˆ lĠintŽrieur. Dans lĠŽglise pas un seul pasteur car sa prŽsence aurait ruinŽ sa rŽputation[30] mais Žgalement, car quĠil sĠagit dĠune cŽrŽmonie civile organisŽe sans la mŽdiation dĠun professionnel de la foi : mme ˆ lĠintŽrieur du Temple, il nĠexiste que des Žgaux. Lorsque Billy Priest lit lĠŽvangile de Saint Jean, un champ contre-champ souligne cette ŽgalitŽ. Face au regard du Juge filmŽ en plan amŽricain sans incidence angulaire soit ˆ "hauteur dĠhomme", le premier rang rŽservŽ aux proches rŽunit Mallie Cramp, Lucy Lee et le GŽnŽral Fairfield. ArrivŽ en retard, il a revendiquŽ la place aux c™tŽs de Lucy Lee comme la sienne, puis une fois assis, a pris la main de sa petite fille, mettant ainsi un terme ˆ la querelle qui divisait les vŽtŽrans confŽdŽrŽs. Debout derrire eux, Ahsby ; cĠest ˆ ce mouton noir[31] que reviendra le privilge de dire une prire accompagnŽ ˆ lĠharmonium par Amora ˆ c™tŽ du cercueil ŽclairŽ par un rayon de soleil afin dĠaccomplir les dernires volontŽs de la dŽfunte...

 

Si tous les comportements et les discussions tournent autour de la future Žlection, il est impossible de ne pas "voir", au sens premier du terme, que les funŽrailles ont constituŽ une forme de plŽbiscite. 

 

Le vote

Mais place au vote lui-mme. Aprs lĠŽmotion et le recueillement dans le silence et surtout lĠunitŽ dans un moment de gr‰ce, retour ˆ la trivialitŽ, au vacarme de la rue et ˆ la division par lĠŽlection. La sŽquence sera traitŽe rapidement (4Ġ53ĠĠ) avec nŽanmoins une petite surprise sur les modalitŽs de la victoire que tous les spectateurs attendent. JusquĠau dernier moment, le Juge refuse de reconna”tre sa dŽfaite alors que son distinguŽ adversaire lĠen presse car la premire proclamation des rŽsultats donne Maydew vainqueur : 1700 voix contre 1638. Mais les 62 du district de Tornado nĠont pas encore votŽ. Ils arrivent en groupe, armŽs et toujours menŽs comme pour le lynch par le pre de Mendy qui serre la main des deux adversaires et les salue mais en des termes qui annoncent le coup de thŽ‰tre : "evening Mister Maydew, evening Billy Priest". Ils votent tous comme un seul homme pour le vieux Juge : toujours cette absence dĠindividualitŽ qui peut sĠavŽrer dangereuse ou, en lĠespce, salvatrice. 1700 contre 1700 donc, heureusement que Jeff rappelle ˆ son ma”tre juste avant la cl™ture du bureau de vote quĠil nĠa pas encore votŽ. Le Juge remporte donc ˆ nouveau lĠŽlection avec une seule voix dĠŽcartÉ  Il est temps de jouer Dixie dŽclare le shŽrif qui vient de remettre son Žtoile quĠil avait jetŽe ˆ terre avant de rejoindre les funŽrailles[32]. Brother Finney laisse tomber son cruchon pour sĠemparer de la mailloche de la grosse caisse et battre la mesure.

 

La parade

Un fondu encha”nŽ et un raccord son sur Dixie jouŽ par ses partisans puis repris par la fanfare permettent de passer de la victoire de William Priest au dŽfilŽ devant chez lui qui lui est destinŽ. Ce grand dŽfilŽ en lĠhonneur du nouvel Žlu rassemble, une dernire fois, toutes les composantes de Fairfield et consacre visuellement lĠunitŽ retrouvŽe. Dans lĠordre : la fanfare o se mlent les vŽtŽrans des deux camps, ceux de Tornado, pour une fois sans arme, qui brandissent une banderole o ils ont inscrit "He saved us from ourselves", les cadets trop jeunes pour voter mais pas pour dŽfiler, - un raccord sur le gŽnŽral en grand uniforme sur le seuil de sa demeure qui salue sabre au clair au centre du cadre avec en arrire plan Ashby et Lucy Lee qui lui prend la main pour lĠentra”ner hors du cadre - ses fidles compagnons dĠarmes en uniforme gris, enfin les femmes de la ligue de tempŽrance prŽcŽdŽes par Amora Ratchitt en calche toujours accompagnŽe par son double. Le son des tambours sĠestompe, Jeff sĠassoie sous le porche et, hors champ, on entend My Old Kentucky Home, hymne officiel de lĠEtat depuis 1928 dont le premier vers est The Sun Shines Bright. Jeff reprend ˆ lĠharmonica ; un groupe de noir conduit par "Uncle Plez" pŽntre dans le champ pour interprŽter la chanson en lĠhonneur du vieux Juge.

 

Le sens du titre est explicitŽ et en mme temps toute la complexitŽ du propos est ˆ nouveau soulignŽe pour conclure le film. Certes aprs la victoire, The Sun Shines Bright dans les cÏurs (celui des protagonistes de la fiction comme dans celui des spectateurs) mais la nuit est tombŽe.  Ashby et Lucy Lee sĠarrtent sur le seuil de la maison du Juge au moment o, trs Žmu, il rentre chez lui et sĠŽloigne vers le fond du cadre pour dispara”tre ˆ leurs yeux comme ˆ ceux des spectateurs. 

happy-end ?

CommentŽ par tous les analystes, ce happy-end en trompe lĠÏil ramne le spectateur ˆ son Žpoque. Le triomphe de lĠhonnte homme au costume fripŽ contre le professionnel du discours bien de sa personne appartient dŽsormais au passŽ mme en 1953 alors en ce dŽbut de XXIe sicle sous le rgne de lĠinquisition cathodique et des professionnels de la communicationÉ Ds le commencement du film, Ford avait soulignŽ les rangs clairsemŽs des vŽtŽrans sudistes lors de leur premire rŽunion. Billy Priest entre dans la salle par le fond du cadre alors que tout le premier plan est occupŽ par des chaises vides - "The deep-focus panning accentuates the empty chairs"[33] – ; il compte rŽsignŽ les participants : seuls les deux premiers rangs sont partiellement occupŽs par une petite dizaine de vŽtŽrans bien ‰gŽs et ˆ lĠarrire, Jeff joue de lĠharmonica pour ouvrir la sŽance ou pour accompagner le salut aux couleurs. De mme ˆ plusieurs reprises, Ford a fait en sorte que le spectateur sente le poids des ans pesant sur les Žpaules du Juge Priest. Par exemple, ˆ la fin de son vrai discours de politicien (il sait en faire !) devant des vŽtŽrans nordistes beaucoup plus nombreux o il a rŽussi le tour de force de se faire applaudir par ses adversaires politiques (des affiches de Horace Maydew ornent les murs de leur salle), le Juge sort de la salle enfumŽe par le bord gauche du cadre. Raccord sur le mouvement, il pŽntre par le haut droit du cadre pour se retrouver seul dans un grand vestibule peu ŽclairŽ[34] au centre et en haut de lĠŽcran : une lŽgre plongŽe accentue la solitude du vieux Juge et sa fragilitŽ[35] ; il sĠavance vers le spectateur dĠun pas lent, ™te son chapeau et sĠessuie le front avec son grand mouchoir avant de sortir par le devant du cadreÉ Fondu encha”nŽ, il se retrouve dans un grand hall (un b‰timent public ? et dans lĠaffirmative cela signifie que les vŽtŽrans de lĠUnion bŽnŽficient dĠun soutien public) devant lĠaffiche de Maydew quĠil salue : il est ˆ nouveau dans le combat Žlectoral.

 

Si les funŽrailles ont bien ralliŽ les meilleurs de Fairfield, la cŽrŽmonie nĠa pu se dŽrouler que dans lĠŽglise des noirs et en lĠabsence dĠun pasteur authentique, i.e. un blanc, mme si le Juge Priest a rempli son r™le avec une belle conviction mais son patronyme le prŽdestinait sžrement. Ce plŽbiscite en faveur du Juge ne sĠest pas retrouvŽ dans les urnes : la victoire nĠa tenu quĠˆ un fil, sa propre voix. La politique et ses divisions ont repris leurs droits presque instantanŽment. Mme le Juge nĠest pas compltement innocent de toutes compromissions. Le Juge a combattu avec courage pour Žviter le lynch mais accepte finalement rŽsignŽ la balle dans le dos qui abat le violeur et Žpargne un procs. Il a fait un beau discours pour les funŽrailles prchant la tolŽrance mais sa dernire dŽcision avant lĠŽlection a ŽtŽ dĠexpulser Mallie Cramp et ses pensionnaires qui, malgrŽ tout, nĠoubliera jamais que "The Lord will provide" mais Fairfield nĠa mme plus de maison pour la tolŽranceÉ

 

Enfin Ford, qui "dŽteste l'Žtat d'esprit du Sud"[36],  sĠest amusŽ ˆ inverser toutes les situations dans son film : ce sont les vŽtŽrans confŽdŽrŽs qui le reprŽsentent (sans doute "avec lĠaffection dĠun Irlandais pour les causes perdues"[37]) et qui affrontent ceux qui entendent incarner lĠavenir. Le monde cher ˆ Ford nĠa gagnŽ quĠun sursis de quatre ans. Nul doute quĠˆ la prochaine Žlection, la marche vers le progrs tellement souhaitŽe par Horace K. Maydew aura balayŽ toutes ces figures archa•ques si chres, en revanche, au cÏur de John Ford.

 

Si la (re)naissance de la nation aprs le traumatisme de la guerre civile peut tre considŽrŽe comme le thme central du western qui le construit comme genre, alors The Sun Shines Bright est assurŽment un western. Pour autant, les invariants les plus visibles du genre font totalement dŽfaut : ni cow-boy, ni indien, ni grand espace. Juste une petite bourgade du Kentucky et ses banales petites histoires vŽcues par des gens trs simplesÉ Cette apparente contradiction montre que lĠidŽologie du western sĠexprime bien au-delˆ du genre clairement identifiŽ par les spectateurs du monde entier. A cela rien de surprenant dans la mesure o la mythologie de la "Frontier" constitue le cÏur de lĠidŽologie amŽricaine et quĠelle est, par consŽquent, prŽsente dans presque tous les films importants qui prennent ˆ bras le corps lĠhistoire de cette formation sociale. Pour autant, la forme choisie par Ford pour ce happy-end comme la tonalitŽ gŽnŽrale du film montrent bien quĠil nĠest pas dupe et quĠil ne se paie pas ni de mots ni dĠimages car il sait dĠexpŽrience que lĠunitŽ de la Nation[38] nĠest quĠun rve, une lŽgende ˆ "imprimer" sur la pellicule. DĠautres films, plus noirs, sont ˆ venir et seront bien plus explicites.

Jean-Marie Tixier

Ma”tre de ConfŽrences ˆ lĠUniversitŽ Montesquieu-Bordeaux-4

PrŽsident du cinŽma Jean-Eustache (Pessac)

in,  Le Vote ˆ l'Žcran, Politeia,

Revue semestrielle de Droit constitutionnelle comparŽ, nĦ21, printemps 2012, pp. 59 ˆ 73.



[1] - CitŽ par Tag Gallagher in, John Ford: The Man and His Films, University of California Press, 1986, p.284.

[2] - Pour se distinguer du petit Žcran en pleine expansion dans les foyers amŽricains, le cinŽma gŽnŽralise la couleur et adopte une image plus large. En 1953, The Robe de Henry Koster reprend lĠinvention de 1927 du professeur Henri ChrŽtien, le CinŽmascope, et ouvre lĠre des formats larges.

[3] - Dans lĠorganisation oligopolistique caractŽristique de lĠindustrie cinŽmatographique, les majors ont toujours laissŽ subsistŽ des indŽpendants. A Hollywood, les petits producteurs sont regroupŽs sous le terme gŽnŽrique de poverty row qui ne correspond en rien ˆ une localisation gŽographique mais ˆ des compagnies fonctionnant avec des petits budgets.  Si les procŽdures anti-trust ont dŽjˆ abouti, au moment du film, ˆ la fin de lĠintŽgration verticale, les majors contr™lent toujours le secteur clŽ de la distribution aux USA et dans le monde.

[4] - Dans ses mŽmos, David O. Selznick Žcrit : "J'ai fortement conscience, comme je l'ai dit ˆ Coop (Merian C. Cooper), que nous devrions choisir le scŽnario et le faire accepter ˆ John Ford, plut™t que de lui laisser choisir un de ces sujets non commerciaux qu'il aime et que nous tournerions uniquement ˆ cause de son enthousiasme." In Memo, Paris, Ramsay (Poche CinŽma), 1985, p. 94.

[5] - Dennis Schwartz, "Ozus' World Movie Reviews", 26 dŽcembre 2004, sur http://homepages.sover.net/~ozus/sunshinesbright.htm.

[6] - Il est trs difficile de dater prŽcisŽment le temps du rŽcit dans la mesure Ford ne nous fournit pas dĠindices dŽterminants quand ils ne sont pas contradictoires (Cf. les notes plus bas). Deux fins connaisseurs de lĠÏuvre de Ford divergent sur ce point : Tag Gallagher propose 1905 quand Jim McBride prŽfre 1896.

[7] - "Ce qui fascinait Ford, cĠŽtait de constituer une Žcriture et un style qui nĠentravent pas le rŽcit, qui ne dŽtruisent pas lĠŽmotion immŽdiate, mais qui soient comme un accompagnement du film, une sorte de creuset indŽpendant mais indispensable ˆ lui. Chez Ford, il y a comme un phŽnomne de dŽdoublement : lĠhistoire reste primordiale mais lĠŽcriture trs visible est lˆ, un peu ˆ c™tŽ de lĠhistoire, comme un vtement trop ample. Et lĠhistoire pourtant ne peut se conter que dans cette forme-lˆ."  Jean Douchet, Le retour de John Ford, Cahiers du CinŽma, nĦ 424, octobre 1989.

[8] - 1Ħ) LĠŽlection des responsables du comtŽ, 2Ħ) le retour du fils prodigue, Ahsby Corwin et son histoire dĠamour avec Lucy Lee, 3Ħ) le viol de Mendy et ses consŽquences, 4Ħ) le mystre Lucy Lee et le retour tragique de sa mre.

[9] - in, John Ford: The Man and His Films, op. citŽ, p.284.

[10] - CĠest la deuxime fois que Ford adapte des nouvelles dĠIrvin S. Cobb ayant pour personnage principal le Juge Priest. Cf. Judge Priest (1934) avec Will Rogers dans le r™le titre avec dŽjˆ Stepin Fechit ˆ ses c™tŽs. The Sun Shines Bright adapte trois nouvelles de Cobb : "The Sun Shines Bright", "The Mob from Massaq", et "The Lord Provides".

[11] - James Montgomery (4 novembre 1771 – 30 Avril 1854), The Battle of Alexandria.

[12] - Effet pervers bien connu aux USA de lĠŽlection au suffrage universel des responsables de la Loi, juge et shŽrif. Surtout dans des affaires de mÏursÉ Sans Žvoquer des affaires plus rŽcentes, le cinŽma se souvient de lĠaffaire Roscoe Arbuckle accusŽ du viol et de l'homicide involontaire de Virginia RappŽ, une jeune actrice lors dĠune party, le 5 septembre 1921, le jour o le rire sĠarrta pour Buster Keaton. Les ligues de vertu fŽminines, les tablo•ds et les dŽtails sordides ŽtalŽs ˆ la une, et le District Attorney de San Francisco, Matthew Brady exploitrent ˆ fond la veine : W. R. Hearst sĠest mme vantŽ dĠavoir vendu plus de papiers pour lĠaffaire Arbuckle que pour le naufrage du Lusitania ! Une longue procŽdure juridique conduisit ˆ plusieurs acquittements aprs 3 procs successifs. Le troisime acquittement aprs seulement 6 minutes de dŽlibŽrŽ a ŽtŽ accompagnŽ dĠune motivation sous forme dĠexcuse : ÒAcquittal is not enough for Roscoe Arbuckle. ÒWe feel that a great injustice has been done to him... there was not the slightest proof adduced to connect him in any way with the commission of a crime. He was manly throughout the case and told a straightforward story which we all believe. We wish him success and hope that the American people will take the judgement of fourteen men and women that Roscoe Arbuckle is entirely innocent and free from all blameÓ. Mais Arbuckle, le premier acteur ˆ tre "blacklistŽ", eut sa carrire dŽfinitivement brisŽe et ne travailla plus que sous le pseudonyme de "Will B. Good" puis sous celui de "William Goodrich".

[13] - A aucun moment dans le film, la situation est explicitŽe : on ne parle ni de maison close, ni de prostituŽes. Elle est simplement suggŽrŽe par quelques notations discrtes : le code veille encore !

[14] - Leur multiplication dans le film notamment dans le traitement du personnage de Jeff (il a peur des fant™mes !) explique Žgalement son mauvais accueil en 1953, dans cet immŽdiat aprs-guerre o le mouvement des droits civiques en lutte contre la sŽgrŽgation conna”t un fort dŽveloppement. Ds 1954, le mouvement va aboutir ˆ lĠarrt de la cour suprme Brown v. Board of Education qui met un terme ˆ la jurisprudence de lĠarrt Ferguson en rendant illŽgale la sŽgrŽgation dans lĠŽducation.

[15] - Musique fosse, selon lĠexpression proposŽe par Michel Chion ["Le Son au CinŽma", Editions de l'Etoile/Cahiers du CinŽma, coll. "Essais", Paris, 1985] en rŽfŽrence aux orchestres qui accompagnaient les films muets dans la fosse des thŽ‰tres.

[16] - SignŽe le 6 aožt 1965, par le PrŽsident Johnson, le Voting Rights Act supprima toutes les restrictions instituŽes au fil des ans contre le vote des noirs afin de leur permettre le rŽel exercice de leur droit de vote.

[17] - La section 145 stipule: ÒPersons convicted in any court of competent jurisdiction of treason, or felony, or bribery in an election, or of such high misdemeanor as the General Assembly may declare shall operate as an exclusion from the right of suffrage, but persons hereby excluded may be restored to their civil rights by executive pardonÓ.

[18] - Cette bataille remportŽe par les confŽdŽrŽs sĠest dŽroulŽe en septembre 1863. Si Ashby est bien le fils de Bainbridge Corwin – ce qui nĠest pas explicitement dit dans le film - il a au moins 33 ans en 1896 et 42 en 1905É NŽ en 1921, John Russell a 31 ans au moment du tournage. En revanche, le trompette Priest est interprŽtŽ par Charles Winninger nŽ le 26 mai 1884 et qui a donc 68 ans en 1952 : mme en 1905, il est trop ‰gŽ pour avoir ŽtŽ le petit trompette que le gŽnŽral appelle affectueusement "little Billy Priest".

[19] - Sur le personnage interprŽtŽ par Stepin Fetchit Cf. mon article sur "Seargent Rutledge ou le huis clos impossible", in Le huit clos judiciaire au cinŽma, publication des actes du colloque Ç Droit & cinŽma : regards croisŽs È du 29 et 30 juin 2008,  mars 2010, pp.73 ˆ 105.

[20] - Le district de Tornado se situe ˆ lĠextŽrieur de la ville. Ses habitants continuent de porter ˆ la ceinture un holster avec une arme de poing et se dŽplacent avec leur carabine : ils ne sont pas trs urbanisŽs...

[21] - Sa demande au Juge est accompagnŽe de quelques mesures de "Sometimes I Feel Like a Motherless Child", puis il va sĠasseoir devant la cellule pour tenir la main de son neveu.

[22] - Si il lĠa obtenu pour avoir combattu avec les Rough Riders de Teddy Roosevelt, alors la fiction se dŽroule bien en 1905.

[23] - Vers Sa DestinŽe, 1939. Le scŽnariste de Young Mr. Lincoln, Lamar J. Trotti est Žgalement celui de Judge Priest (1934) qui est la premire mise en images du rŽcit du Juge Priest rŽalisŽe par John Ford. Trotti sera Žgalement lĠauteur du scŽnario de Steamboat Round the Bend (1935) et de Drums along the Mohawks, le troisime chef-dĠÏuvre de lĠannŽe 1939 avec Stagecoach ! CrŽativitŽ exceptionnelle ! Dans lĠhistoire du cinŽma, pas un autre rŽalisateur nĠa rŽussi 3 grands films dans la mme annŽe. Mais dĠune part le "studio system" offrait les conditions matŽrielles nŽcessaires et, dĠautre part, Ford Žtait amoureux de Katherine Hepburn.  

[24] - Membre de la John Ford Stock Company, Jack Pennick a jouŽ dans pratiquement tous les films de Ford sans tre toujours crŽditŽ au gŽnŽrique. Plus, il a mme servi sous ses ordres durant la deuxime guerre mondiale aprs sĠtre engagŽ ˆ 46 ans. BlessŽ en Tunisie, il a ŽtŽ dŽcorŽ de la Silver Star ˆ la demande de Ford. Ses Žtats de service militaire et cinŽmatographique lui vaudront de bŽnŽficier pour ses funŽrailles en 1964 dĠune cŽrŽmonie spŽciale dans le ranch de Ford.

[25] - Interview with Tag Gallagher, sur http://www.lafuriaumana.it/

[26] - Jacques Bontemps, Le vieux monde et les nouveaux venus, in Politique (s) de John Ford, Trafic nĦ56, hiver 2005, p.10.

[27] - Son fort accent, lĠutilisation dĠexpressions allemandes montrent bien quĠil est un Žmigrant de la premire gŽnŽration. Si les germano-amŽricains ont ŽtŽ plut™t favorables ˆ lĠUnion, Herman est un fier vŽtŽran sudiste.

[28] - Avec son costume dĠhomme des bois, cĠest le seul ˆ ne pas respecter ouvertement les conventions sociales. Mais, il nĠappartient pas vraiment ˆ la ville et incarne la survivance de la Frontire. Il ne se dŽpartit jamais ni de sa longue carabine, ni de son cruchon. Et lorsquĠil voit passer les funŽrailles quĠil ira rejoindre, il est assis sous une affiche de Maydew qui promet dĠen finir avec les trafiquants dĠalcool : "Maydew will drive out the moonshiners" !

[29] - Jean-JosŽ Richer, Cahiers du CinŽma, juin 1953, nĦ24.

[30] - Sans doute comme dans un grand nombre de ses films, John Ford, ce catholique, tient ˆ rappeler ˆ ces concitoyens protestants, trop grands lecteurs de la Bible surtout lorsquĠils sont "born again", que lĠEvangile, ce nĠest pas de lĠhŽbreu pour reprendre Georges Brassens et Les quatre bacheliers (1966).

[31] - Le docteur Lewt Lake qui tient le compte prŽcis des accouchements rŽalisŽs par ses soins, a mis au monde 5322 bŽbŽs dans la vallŽe des larmes et Ashby se qualifie lui mme du mouton le plus noir du lotÉ 

[32] - Lorsque le Marshal Kane a fait de mme ˆ la fin de High Noon (Fred Zinnemann, 1952), John Wayne a qualifiŽ cet acte de "unamerican".

[33] - Tag Gallagher in, John Ford: The Man and His Films, op.citŽ, p.292.

[34] - Lorsque Billy Priest Žtait encore dans la salle de rŽunion, lĠextŽrieur ne semblait pas moins ŽclairŽ que lĠintŽrieurÉ Faisant fi de tout traitement rŽaliste, Ford utilise systŽmatiquement la lumire pour renforcer son propos. Cf. la trs belle sŽquence o Lucy Lee dŽcouvre chez Uncle Billy le secret de sa filiation et la trs fine analyse produite par Tag Gallagher in, John Ford: The Man and His Films, op.citŽ, pp. 290 & 291.

[35] - Charles Winninger mesure 5' 6" (1.68 m) et, ˆ aucun moment, Ford nĠa cherchŽ ˆ le grandir comme il le fera pour le sergent Rutledge : le judge Priest est un common man.

[36] - "Je suis un homme du Nord. Je suis nŽ dans le Maine, l'un des premiers Etats ˆ avoir aboli la sŽgrŽgation. Je dŽteste l'Žtat d'esprit du Sud." In Claudine Tavernier, "La 4me dimension de la vieillesse, John Ford", CinŽma 69, nĦ137, p.44.

[37] - Le scŽnariste Frank Nugent citŽ par Jim McBride in A la recherche de John Ford, Institut Lumire/Actes Sud, Arles, 2007, p.707.

[38] - Et celle dĠHollywood. La chasse aux sorcires Žtale au grand jour les divisions de la capitale du cinŽma. Favorable au maccarthysme car farouchement anti-communiste, The Motion Picture Alliance for the Preservation of American Ideals rassemble Walt Disney, King Vidor, Leo McCarey, Sam Wood, Ronal Reagan, Robert Taylor, mais aussi des proches de Ford, Ward Bond et John Wayne qui prŽsidera mme en 1949 lĠassociation. Alors que The Committee for the First Amendment est fondŽ par le scŽnariste Philip Dunne, Myrna Loy et les rŽalisateurs John Huston et William Wyler pour soutenir les 10 dĠHollywood. Ford se comporta en parfait honnte homme notamment en sĠopposant fermement ˆ Cecil B. De Mille qui voulait la tte de Joseph Mankiewicz lors de la fameuse soirŽe de la guilde des rŽalisateurs le 15 octobre 1950. Les blessures seront bien longues ˆ cicatriser. En 1999, lĠoscar dĠhonneur ˆ Elia Kazan est contestŽ par une requte Žcrite de The executive council of the Eastern unit of the Writers Guild of America. Et lors de la cŽrŽmonie menŽe sur scne par Martin Scorsese et Robert De Niro, certains participants comme Nick Nolte ou Ed Harris restrent assis les bras croisŽs quand dÔautres se levaient pour applaudir le grand rŽalisateur mais aussi dŽlateur revendiquŽÉ