LA CONFÉRENCE
de Matti GeschonneckGENRE : Drame, HistoriqueAllemagne · 2023 · 1h48 · Vostfr
Avec : Philipp Hochmair, Johannes Allmayer, Maximilian Brückner
Au matin du 20 janvier 1942, une quinzaine de dignitaires du IIIe Reich se retrouvent dans une villa cossue, conviés par Reinhard Heydrich à une mystérieuse conférence. Ils en découvrent le motif à la dernière minute : ces représentants de la Waffen SS ou du Parti, fonctionnaires des différents ministères, émissaires des provinces conquises, apprennent qu’ils devront s’être mis d’accord avant midi sur un plan d’élimination du peuple juif, appelé Solution Finale. Deux heures durant vont alors se succéder débats, manœuvres et jeux de pouvoir, autour de ce qui fera basculer dans la tragédie des millions de destins.
La véritable villa Marlier, de sinistre mémoire, occupe les premiers plans de ce film se déroulant par ailleurs à huis-clos et se basant sur le procès-verbal hautement confidentiel de la Conférence de Wannsee, établi par Adolf Eichmann. (Ce document de référence sur l'Holocauste, dont il ne reste qu'un seul exemplaire retrouvé après la fin de la guerre, tient davantage du compte rendu que d’un verbatim.) Mais pour mener à bien La Conférence, bien plus que se limiter à une impossible retranscription, le réalisateur Matti Geschonneck a reconstitué dans les studios Berliner Union Film l’intérieur de la villa et a pu y orchestrer des prises du vues millimétrées pour une narration très découpée. À l’arrivée, porté par des comédiens diablement crédibles, ce grand film d’histoire architecture dans sa forme-même le double-fond d’une parole cyniquement imagée et quelquefois abstraite jusqu’à l’absurdité – celle, déshumanisante, du langage nazi. Film glacial, porté par des personnages aux affects pathétiques, La Conférence sidère à force d’y voir se déployer une métaphore après l’autre, une périphrase après l’autre (« les possibilités de l’Est » et tant d’autres euphémismes…), afin de masquer l’horreur très concrète que l’énormité des ambitions chiffrées oblige finalement à détailler par le menu. Mouvements de caméra, jeu des échelles de plan, rythme de la langue allemande : la mise en scène captive. Jusqu’à laisser entendre que certains protagonistes se retrouveront piégés dans un compte-rendu allusif mais suffisamment explicite pour qu’ils ne puissent pas dire qu’ils ne savaient pas. Cynisme suprême de Eichmann que d’envisager une hypothétique défaite dès cette conférence de 1942 ? Œuvre passionnante en forme de fidèle reconstitution historique, La Conférence est aussi un grand film sur le langage et sur le sens que les mots recouvrent. Dans notre société obnubilée par les toutes puissantes images, l’entreprise demeure précieuse. ⎥ Nicolas Milesi
de Matti GeschonneckGENRE : Drame, HistoriqueAllemagne · 2023 · 1h48 · Vostfr
Avec : Philipp Hochmair, Johannes Allmayer, Maximilian Brückner
Au matin du 20 janvier 1942, une quinzaine de dignitaires du IIIe Reich se retrouvent dans une villa cossue, conviés par Reinhard Heydrich à une mystérieuse conférence. Ils en découvrent le motif à la dernière minute : ces représentants de la Waffen SS ou du Parti, fonctionnaires des différents ministères, émissaires des provinces conquises, apprennent qu’ils devront s’être mis d’accord avant midi sur un plan d’élimination du peuple juif, appelé Solution Finale. Deux heures durant vont alors se succéder débats, manœuvres et jeux de pouvoir, autour de ce qui fera basculer dans la tragédie des millions de destins.
La véritable villa Marlier, de sinistre mémoire, occupe les premiers plans de ce film se déroulant par ailleurs à huis-clos et se basant sur le procès-verbal hautement confidentiel de la Conférence de Wannsee, établi par Adolf Eichmann. (Ce document de référence sur l'Holocauste, dont il ne reste qu'un seul exemplaire retrouvé après la fin de la guerre, tient davantage du compte rendu que d’un verbatim.) Mais pour mener à bien La Conférence, bien plus que se limiter à une impossible retranscription, le réalisateur Matti Geschonneck a reconstitué dans les studios Berliner Union Film l’intérieur de la villa et a pu y orchestrer des prises du vues millimétrées pour une narration très découpée. À l’arrivée, porté par des comédiens diablement crédibles, ce grand film d’histoire architecture dans sa forme-même le double-fond d’une parole cyniquement imagée et quelquefois abstraite jusqu’à l’absurdité – celle, déshumanisante, du langage nazi. Film glacial, porté par des personnages aux affects pathétiques, La Conférence sidère à force d’y voir se déployer une métaphore après l’autre, une périphrase après l’autre (« les possibilités de l’Est » et tant d’autres euphémismes…), afin de masquer l’horreur très concrète que l’énormité des ambitions chiffrées oblige finalement à détailler par le menu. Mouvements de caméra, jeu des échelles de plan, rythme de la langue allemande : la mise en scène captive. Jusqu’à laisser entendre que certains protagonistes se retrouveront piégés dans un compte-rendu allusif mais suffisamment explicite pour qu’ils ne puissent pas dire qu’ils ne savaient pas. Cynisme suprême de Eichmann que d’envisager une hypothétique défaite dès cette conférence de 1942 ? Œuvre passionnante en forme de fidèle reconstitution historique, La Conférence est aussi un grand film sur le langage et sur le sens que les mots recouvrent. Dans notre société obnubilée par les toutes puissantes images, l’entreprise demeure précieuse. ⎥ Nicolas Milesi