Cinéma Jean Eustache Pessac
Réserver votre film en ligne
Facebook Cinéma Jean Eustache Instagram Cinéma Jean Eustache

JOURNÉE DOLAN

 

 

Compte-rendu de la soirée du 16 septembre avec Xavier Dolan

Le vendredi 16 septembre 2016, au cinéma Jean Eustache, à l’occasion de la sortie en France de « Juste la fin du Monde », François Aymé le Directeur du cinéma, accompagné de Monsieur le Maire de Pessac, a accueilli Xavier Dolan et sa productrice juste avant la projection du film !

Les très nombreuses personnes présentes dans la Salle Fellini ont réservé à Xavier Dolan un accueil digne d’une rock star. Une standing ovation des plus chaleureuses qu’il m’ait été donné d’observer depuis que je fréquente le Jean Eustache.

Bon nombre de jeunes filles étaient en pâmoison et à deux doigts de s’évanouir.

Tout d’abord, le Maire de Pessac exprime sa joie et sa fierté d’accueillir Xavier Dolan dans son marathon pour la promotion de son nouveau film, Juste la fin du monde :  » Après Cannes et Paris, c’est une progression naturelle à Pessac, d’autant que, ce soir, nous fêtons le 10è anniversaire de la rénovation du Jean Eustache, ce cinéma magnifique dans lequel nous vous accueillons. »

L’entretien est ensuite conduit par François Aymé qui sait toujours parfaitement tirer le maximum de ses invités : « Je tenais à vous remercier pour tous vos films, des films libres, audacieux et énergiques, des films qui rassemblent car, en tant que directeur de cinéma, je vois des films plutôt destinés aux jeunes ou des films plutôt destinés aux moins jeunes et, en général, quand le cinéma rassemble, il nivelle plutôt vers le bas. Je dirais que vous, vous nivelez plutôt vers le haut ! C’est important d’avoir une salle où il y a un vrai mélange des publics et c’est ce que je vois devant moi ce soir. Merci pour tous vos films qui vont dans ce sens-là !Ce matin je vous entendais sur France Inter et vous rappeliez que la culture c’est important. Il faut continuer à la défendre, au Québec comme en France. Et à six mois de la présidentielle, il est important de rappeler ce genre de choses !  »

Q : Au sujet de Laurence anyways, comment vous êtes-vous nourri pour raconter une histoire qui n’est pas du tout la vôtre ?

Xavier Dolan : A part J’ai tué ma mère, mes films ont toujours été très personnels sans être autobiographiques. Je n’ai jamais vécu l’histoire de Fred dans Laurence anyways ou celle de Tom à la ferme mais je n‘aurais pas supporté d’attendre de les avoir vécues pour raconter ces émotions. Pour moi, la seule façon d’imaginer ce que cela pourrait être, c’est de partir de moi-même, de mon enfance, de mon histoire avec les gens qui m’ont entouré, les gens avec qui j’ai grandi, femmes ou hommes, femmes surtout ; et d’essayer d’extrapoler et d’aller au-delà de mes propres limites, d’imaginer ce qu’est une histoire d’amour éperdue, ce que j’aimerais qu’une histoire d’amour soit. C’est un mélange des quelques films que j’ai vus, des vraies histoires d’amour dont j’ai entendu parler ou de vrais chagrins d’amour. Je peux vous confirmer qu’à l’âge où j’ai réalisé Laurence anyways, j’avais déjà eu de vrais chagrins d’amour, très réels.

C’est un amalgame des choses qu’on connaît et des choses qu’on devine. Ça reste quand même des films qui parlent de l’amour, des amours à sens unique, de la différence, de l’ostracisme, de la quête d’identité, de la quête de soi. Ce sont des choses qui ont des ramifications très profondes dans mon âme ; même si je ne suis ni transsexuel  ni un jeune homme qui va à la campagne et qui se fait prendre en otage dans une ferme, cela ne m’empêche pas de comprendre ce qu’est la différence, petite ou grande, ce qu’est le regard des autres sur soi, leur jugement ou leur mépris.

Ce que c’est que d’essayer dans une société qui célèbre souvent la normalité, la méchanceté, le manque de compassion, la médiocrité, qu’est-ce que c’est que se chercher, chercher son identité, chercher la diversité. Ce sont des choses qui se déclinent dans tellement de personnages puis tellement d’histoires différentes. Au fond, tout ce qu’il reste à faire quand on connaît ces émotions, quand on les a ressenties, c’est d’imaginer une histoire, c’est d’imaginer des personnages.

François Aymé : Sur Juste la fin du Monde, on a cinq personnages avec au centre la question de la parole, ce qu’on dit, ce qu’on ne dit pas, la manière dont on le dit. Dans tous vos films les dialogues sont toujours très importants mais là, c’est un des sujets du film,  le sujet même du film : comment on se parle, ce qu’on se dit. Que la parole soit aussi présente du début à la fin, dans cette adaptation d’une pièce de théâtre, est-ce que vous avez fait un travail différent, est-ce que vous avez changé votre façon de travailler avec vos acteurs par rapport à l’importance de la parole, et aussi est-ce que dans le choix du casting français cela a eu une influence ?

Xavier Dolan : J’ai changé beaucoup de choses pour adapter la pièce de Jean-Luc Lagarce,  pour m’y adapter au mieux de mon jugement, de mes capacités, mais je n’ai pas changé ma façon de travailler avec les acteurs. Ce qui change à chaque fois, c’est la réalisation, c’est la mise en scène ; on retrouve des connivences, des recoupements avec les films d’avant, des coups, des inclinaisons, le ralenti, etc.

Oui, il y a des choses qui reviennent, il y a des choses qui sont plus personnelles, mais le travail du réalisateur c’est de donner la priorité à l’histoire, au scénario, ici à la pièce. Il faut se demander de quoi cette pièce, de quoi ces personnages ont besoin, et d’adapter ma démarche, ma réflexion, l’orienter autour d’eux, en fonction d’eux, au service d’eux et au service de l’émotion. Et dans le cas de Juste la fin du monde, les mots jouent un rôle tellement important, un rôle principal même, qu’il était important d’être extrêmement près d’eux, parce que ce que je trouve vraiment magnifique dans la langue de Lagarce, c’est la dichotomie entre toute l’énergie et toute l’intelligence qu’il met dans l’écriture de sa langue. On sent que c’est une langue très structurée, très complexe, qui est même parfois robotique, technique, c’est comme des borborygmes, des hésitations, des redites.

C’est exigeant comme langue mais c’est aussi en même temps une langue qui parle sans ambiguïté. Tous les mots utilisés, ici et maintenant, servent à dire : « je t’aime » ou  « j’t’en veux ». Ce sont tous les mots qu’on utilise pour éviter de dire l’essentiel. Cette contradiction et cette dichotomie dans la pièce de Lagarce, pour moi, la seule façon de la traduire à l’écran, c’était de laisser parler les personnages et de me dire : pendant que vous parlez, moi, je vais m’approcher et on va voir les regards, les soupirs, les choses qui traversent vos yeux et qui animent votre visage, qui disent tout bas ce que vous exprimez tout haut .

François Aymé : Vous avez parlé de l’émotion, vous êtes un cinéaste de l’émotion. Vous êtes à la fois scénariste, réalisateur, directeur d’acteurs et monteur. Et par rapport à la gestation de cette émotion, est-ce que vous la préparez de manière globale ou est-ce que c’est un ajustement perpétuel ? Comment se prépare l’émotion ? Vous l’avez en tête et vous cherchez à la reproduire où vous la cherchez au tournage ? Comment cette alchimie se met-elle en place ?

Xavier Dolan : L’émotion se prépare. Quand on écrit un scénario, on sait qu’une scène va être touchante, qu’il va y avoir un moment touchant, mais il y a toujours des surprises. Quand on est dans la création, dans le décor, avec les acteurs, les costumes, la lumière, l’émotion du moment est incalculable, imprévisible et l’on doit la saisir au vol. Après il y a l’émotion qu’on manipule, qu’on organise en salle de montage. Il y a toutes sortes d’émotions. Et il y a toutes sortent de façons de les filmer.

On peut les prévoir mais pour moi, un des moments dont je suis le plus fier dans le film de ce soir, c‘est un moment qui n’était pas écrit dans le scénario. Deux ou trois jours avant, j’avais décidé de le tourner. On a appelé ce moment : « le secret ». J’essaie de vous en dire moins pour que vous en voyiez plus. C’est un échange de regards entre le personnage de Marion Cotillard et celui de Gaspard Ulliel, où les mots des autres s’évanouissent, et pendant un moment, on se concentre sur l’essentiel, sur le non verbal. C’était une émotion très, très grande pour moi quand on l’a tournée et ce n’était pas prévu ce jour-là.

Je voudrais m’adresser à vous tous et vous dire mon bonheur d’être ici, dans cette ville, parmi vous. Dans la chaîne de fabrication d’un film, il y a plusieurs étapes dont certaines sont extrêmement plaisantes : quand on l’écrit, quand on le monte, etc… mais l’étape la plus déterminante pour moi, c’est le moment de partager avec vous l’œuvre qu’on a fabriquée. C’est seulement à l’époque de Mummy que j’ai pu aller à la rencontre des spectateurs mais c’est un grand plaisir pour moi d’être avec vous et j’espère que le film va vous plaire. L’idée c’est que le film vous appartient maintenant, il ne m’appartient plus, pour moi c’est fini, le film n’est plus ma propriété.

François Aymé : Y a-t-il une question dans la salle ?

Q : D’abord merci pour les films que vous nous avez déjà offerts ! Il semblerait que vous choisissiez le moindre tissu, le moindre bijou, tout dans les détails. Pourquoi cela ? N’avez-vous jamais rencontré dans votre parcours un décorateur en qui vous puissiez avoir vraiment confiance ? Quelle nécessité pour vous de tout choisir personnellement ? Et d’autre part, j’aurais aimé que vous nous parliez de la façon dont vous travaillez avec les comédiens car ce qui m’a toujours frappée dans vos films, c’est cette sensation d’extrême, sans que cela soit de l’hystérie mais on est dans l’extrême ! Est-ce que vous poussez vos comédiens à improviser ou est-ce que tout est écrit par vous-même ?

Xavier Dolan : Je ne fais pas la direction artistique de mes films, je travaille avec des décorateurs, des directeurs artistiques, etc… Mais si j’ai énormément de plaisir dans le monde du design, de la décoration, je ne suis pas homme-orchestre au point de pouvoir faire toutes ces choses, car cela me prendrait plusieurs années pour tout préparer et tout filmer. C’est plus par rapport aux costumes, que je fais moi-même parce que d’abord, j’y trouve un très grand plaisir et aussi parce qu’au moment d’écrire le film parfois les tissus sont déjà achetés. Le costume dans la tête est déjà dessiné. Pour moi, le costume est la première chose qui surgit quand je pense à un personnage, c‘est par exemple la boutonnière, l’ourlet, la surpiqûre…  C’est comme les cheveux, cela vient très rapidement dans ma tête, dans le processus créatif. Je n’ai pas envie de l’expliquer entièrement à quelqu’un d’autre pour qu’il le fasse à ma place, et ne pas avoir le plaisir de choisir le bon tissu pour la mère, la bonne chemise pour le frère, avec l’histoire qui vient derrière. Et l’histoire, c’est moi qui l’ai dans la tête !  Je pourrais communiquer tout cela à quelqu’un, c‘est ce que les créateurs font, je le fais d’ailleurs avec la lumière, avec les décors ; mais pour moi, les textures, les couleurs sont quelque chose de très, très personnel, de très instinctif et de très viscéral. J’aime en fait choisir les couleurs, les papiers peints, etc… C’est comme ça que j’ai toujours travaillé et par rapport aux costumes, j’aime le faire ; et aussi j’ai la prétention de penser – ce n’est pas que je pense que je suis meilleur qu’un autre – mais je pense que je suis le meilleur pour le faire comme moi précisément dans ma tête je le veux. Quelqu’un pourrait avoir une meilleure idée mais je m’en fous ! ».

« Pour votre question sur la direction d’acteurs, il y a très peu d’improvisation sur le plateau. Il peut y en avoir mais ce qu’il y a surtout c’est de l’improvisation entre les acteurs et moi pendant les scènes. Je parle aux acteurs pendant les scènes, dans les scènes on peut ajouter quelque chose. Pendant que les acteurs jouent et s’investissent émotivement, je regarde le moniteur et je vois le film que vous allez voir, et que moi aussi je vais voir, je vois le plan et je sais que c’est  la finalité.

Si à un moment, s’arrêter, regarder à travers la fenêtre, se taire, se gratter le menton, hésiter, avoir un rire nerveux entre deux répliques, je vois ce qui pourrait être payant, ce qui devrait arriver à ce moment-là, c’est ce qui briserait le sentier qu’on est en train de tracer. Pour être un acteur moi-même, je sais que quand on est acteur, on a un plan, on a une idée : ici je vais faire telle chose, ici je vais faire tel rire, ici telle hésitation et puis, quand on brise cette trajectoire et cet itinéraire, on emmène l’acteur dans une zone de fragilité,  surtout quand on lui demande de l’incorporer directement dans la scène et qu’il se dit : « ok, faut que je le fasse maintenant, il faut que je sois bon tout de suite » ; cette zone est la zone de vérité. Je trouve que c’est intéressant d’amalgamer cette spontanéité-là avec ce que l’acteur avait prévu originellement de faire. C’est une façon de sortir du sentier.

François Aymé : Merci beaucoup, mais on me fait signe qu’il faut enchaîner. Comme on est à Bordeaux et que l’on peut comparer vos films à des grands crus classés, on a un petit cadeau à vous remettre : une caisse avec deux ou trois bouteilles de bordeaux avec sur l’emballage inscrit : « Xavier anyways’ ». Merci beaucoup à toi Xavier !

Rendez-vous
Vendredi 19 avril à 20h !
La Ferme qui soigne
suivi d'une discussion
> Séance-discussion 20h

Jeudi 18 avril à 14h
Le jour où j’ai rencontré ma mère
précédé d’un quiz spécial Road movies.
> CINÉ QUIZ

Mardi 23 avril à 14h30
Les Fées sorcières
Spectacle Mini-Magie et goûter Biocoop
> SÉANCE MINOKINO

Mardi 23 avril à 19h
La Fille mal gardée
En différé de l’Opéra Garnier
> BALLET EN DIFFÉRÉ

Mercredi 24 avril à 14h30
L’Antilope d’or, la renarde et le lièvre
suivi d’un atelier papier découpé
> SÉANCE ATELIER

Vendredi 26 avril à 14h
Les Maîtres du temps
suivi d’un atelier Ma P’tite Cinémathèque proposé par l’AFCAE
> SÉANCE ATELIER

Lundi 29 avril
Une femme indonésienne + The Act of Killing
L’Idonésie, l’Islam et le démocratie par Rémy Madinier
> UNIPOP HISTOIRE #26