Enzo

Du cinéma posthume s’est réinvité à l’ouverture de la Quinzaine des cinéastes. Après Ma vie ma gueule de Sophie Fillières, amené au bout l’an dernier grâce à la complicité aimante d’Agnès Jaoui (avec les enfants de la cinéaste), c’est Enzo, l’ultime film de Laurent Cantet totalement tourné vers la jeunesse, que Robin Campillo présente cette année, non sans le soutien fidèle de la productrice Marie-Ange Luciani. Monteur de six films de Cantet, co-auteur de cinq d’entre eux (dont la palme d’or Entre les murs), Robin Campillo a occupé une position unique auprès de son défunt ami. « On a pu faire ensemble le casting des quatre personnages principaux et ça a été crucial pour le film, précise-t-il. Comme il l’a souvent fait, Laurent a souhaité confronter à ces comédiens connus des acteurs “non-professionnels”, de manière à créer déjà un rapport de classe entre les personnages. » Car de déterminisme social il est grandement question dans ce récit du parcours d’un jeune transfuge de classe, mais à l’inverse de l’habituelle ascension sociale : Enzo est fils de bourgeois et veut devenir maçon. Ce n’est qu’un des aspects de la singularité du jeune homme – Eloy Pohu, avec sa moue boudeuse pour la première fois à l’écran – qui fait montre d’une solitude romantique et taiseuse, à rebours de l’aisance sociale de sa propre famille. Le film dessine à la fois le portrait très émouvant de ce Bartleby qui préfère ne pas soutenir un système qu’il réprouve (« Tout le monde fait la fête comme si tout allait bien ! » s’écrie Enzo) tout en évoquant subtilement la construction du désir propre à la vie adolescente, avec ses engouements irrémédiables. La jeunesse de 2025 devrait se retrouver dans ce jeune garçon dont la velléité de révolte s’ébauche face à une inquiétude diffuse et tenace des temps présents. Enzo est le fruit talentueux de ce regard aigu et bienveillant que Laurent Cantet nous laisse en héritage. – Nicolas Milesi