Ghostlight

« Ce qui est compliqué, c’est le voyage émotionnel. C’est censé être pour de faux, mais les sentiments peuvent parfois sembler réels. » Au détour d’un dialogue, la jeune Daisy rappelle à son père Dan la troublante alchimie à laquelle le théâtre confronte quiconque le regarde – mais surtout quiconque s’y essaye. Ghostlight est un film singulier tout entier contaminé par ce faux-semblant, lorsque la vérité des situations s’emmêle à la magie de la représentation. Les acteurs (magnifiques de justesse) incarnant les trois personnages principaux – Dan avec sa femme Sharon et leur fille Daisy – sont également une famille dans la vraie vie. Les comédiens de la troupe amateur que Dan va rejoindre pour jouer Roméo et Juliette sont de Chicago, où se situe l’action, et se connaissent tous – exception faite de la Philippine Dolly de Leon (Rita, la metteuse en scène de la troupe), découverte dans le palmé Sans Filtre de Ruben Östlund. Dans un tel creuset, la belle écriture (par la co-réalisatrice Kelly O’Sullivan) de ce film aux allures de conte moderne parvient à faire advenir la féerie qu’un Shakespeare n’aurait pas reniée. À l’image de ce père de famille qui ne s’autorise pas à percevoir ses propres émotions (victime d’une masculinité toxique pour lui-même, au même titre que beaucoup d’hommes de sa génération), le scénario aborde par la coulisse, avec une douce pertinence, l’histoire funeste nichée au cœur de ce film et révélée par la représentation théâtrale.
Dans les pays anglo-saxons, les Ghost Lights désignent les veilleuses, généralement sur trépied, qui restent allumées au centre des scènes de théâtre la nuit. Avant tout placées là pour des raisons de sécurité, elles ont toujours eu une dimension superstitieuse ; elles apaiseraient les fantômes qui hantent, dans l’imaginaire populaire, les théâtres. Assumant magnifiquement cette lisière avec le merveilleux, c’est bien le récit d’un apaisement que ce beau film met en scène, dans tous les sens du terme. Un ravissement de cinéma. – Nicolas Milesi