Depuis Corpo Celeste (2011), Alice Rohrwacher (Les Merveilles, 2014) signe un cinéma singulier, préoccupé par le religieux. Tourné en Super 16 (« ce support préserve le mystère »), Heureux comme Lazzaro use d’une narration minimaliste dont la magie opère lentement, au rythme lancinant d’un prénom (« – Lazzaro ! » scandé à intervalles réguliers), laissant infuser la sensation que le discret jeune homme à la bonté infinie occupe une place centrale dans cette histoire en forme de conte mystique. Nullement hagiographique au sens traditionnel du terme (Lazzaro n’est pas le héros conscient d’un récit émaillé de merveilleux), cette œuvre est plus foisonnante qu’il n’y paraît, issue d’un creuset où fusionnerait Les Onze Fioretti de François d’Assise de Rosselini avec le cinéma d’Ermanno Olmi et de Pasolini. Le film narre l’odyssée collective des paysans abusés par la cynique marquise de Luna qui les a maintenus dans un servage anachronique. Au récit de cette « migration domestique » vers la grande ville, tout autant pourvoyeuse d’exploitation – simplement moins surannée qu’à L’Inviolata –, la cinéaste italienne mêle la dénonciation de la religion catholique, du maintien dans l’ignorance dont elle use, comme dévoyée par rapport à une religion archaïque certainement plus révolutionnaire. Le film multiplie les séquences marquantes (et inattendues !) comme celle de ces paysans apeurés devant le gué d’une rivière, évoquant d’autres migrants aujourd’hui confrontés à des frontières objectivement plus dangereuses. Véritable phare braqué sur notre modernité, Heureux comme Lazzaro est un film en état de grâce parcouru de beaux instants de poésie qui en disent long sur le sort que notre monde réserve à la bonté. On ne sait pas ce que pense Lazzaro – qui le sait ? – mais on quitte cette histoire avec la conviction de son existence, noble, mystérieuse et irremplaçable. Comme le cinéma d’Alice Rohrwacher. ⎥ Nicolas Milesi

HEUREUX COMME LAZZARO
Réalisateur(s) : Alice Rohrwacher
Acteur(s) : Adriano Tardiolo, Alba Rohrwacher, Nicoletta Braschi
Genre(s) : Drame
Origine : Italie
Durée : 2h7
Synopsis : Lazzaro, un jeune paysan d’une bonté exceptionnelle vit à l’Inviolata, un hameau resté à l’écart du monde sur lequel règne la marquise Alfonsina de Luna. La vie des paysans est inchangée depuis toujours, ils sont exploités, et à leur tour, ils abusent de la bonté de Lazzaro. Un été, il se lie d’amitié avec Tancredi, le fils de la marquise. Une amitié si précieuse qu’elle lui fera traverser le temps et mènera Lazzaro au monde moderne.