La Femme la plus riche du Monde

On sait bien que la réalité n’en finit pas de dépasser la fiction et le cinéma aurait bien tort de se priver de puiser dans l’actualité et sa galerie de personnages haut en couleurs la source de ses récits. Thierry Klifa relève le gant de la transposition à l’écran de « l’affaire Liliane Bettencourt » (celle qui l’opposa à sa fille Françoise Bettencourt Meyers à propos de l’influence jugée excessive de François-Marie Banier). C’est ce qui s’appelle avoir du cran. Le cinéaste remporte son pari haut la main et nous propose même un film jubilatoire. D’abord, toute cette histoire qui a défrayé la chronique des mois durant est ici pleinement incarnée et ça marche. Narration fluide, jeux d’influence et de manipulation, dialogues mouchetés : les acteurs ont une partition impeccable, vive et rythmée. Et l’on sent dans chaque scène tout le plaisir revigorant d’Isabelle Huppert à jouer cette femme de pouvoir qui transgresse avec une grande liberté les usages de son milieu. Une femme qui s’entiche d’un manipulateur au charme ravageur distillé avec un abattage certain par Laurent Laffitte. Les seconds rôles ne sont pas en reste : André Macron et Raphaël Personnaz, impuissants et compatissants, juste comme il faut. Thierry Klifa et ses scénaristes Cédric Anger et Jacques Fiesch (Illusions perdues) n’oublient pas d’inscrire ce jeu de manipulateurs dans l’histoire familiale d’un grand groupe avec ses zones d’ombres liées à la Seconde guerre mondiale, ses stratégies d’alliance conjugale pour rectifier une image abîmée et enfin un rapport aux médias obsessionnel et passionné. Mais en filigrane, il y a bien sûr la relation de défiance entre une mère et sa fille. Une fille (interprétée par Marina Foïs, très bien) qui fait la leçon à sa propre mère jusqu’à lui dicter son comportement, ses relations, allant jusqu’à l’espionner et, in fine, à lui faire un procès. Il faut dire qu’il y a une petite somme d’argent en jeu. Cette incursion au pays d’une famille très très riche est pour le moins savoureuse. – FRANÇOIS AYMÉ