Tout commence dans un bureau par un conflit violent et sporadique entre un juge pour enfant et une jeune mère colérique, apparemment irresponsable.
Tout commence surtout par le regard désemparé et angoissé d’un petit garçon qui voit partir sa mère…
Le problème est posé : il s’agit d’abandon.
On pourrait le formuler ainsi :
Faut-il renoncer à éduquer cet enfant comme le fera cette mère perdue dans son chaos social et affectif (père absent, famille fragmentée et irresponsable) ?
Ou bien doit-on refuser de l’abandonner ? Ce sera le choix , tout au long du film, des éducateurs et du Juge pour enfant interprété par Catherine Deneuve.
Emmanuelle Bercot donne à voir un aspect particulier et essentiel de la réalité de ce jeune garçon (elle n’a pas de prétention à l’exhaustivité) : l’absence d’éducation familiale, les effets de la confusion affective et sociale qu’il subit d’un côté et de l’autre ses relations avec l’institution qui le prend en charge.
Et elle avance une réponse possible qui se trouve dans l’éducation et dont le motif pourrait être ce que certains nomment aujourd’hui « les émotions démocratiques ».
C’est tout l’enjeu du film et toute la force de la mise en scène d’Emmanuelle Bercot : une affaire de regards et d’émotions à l’origine de l’action politique (ici éducative).
On ne peut vivre ensemble que si l’on partage des valeurs et une culture (au sens large, comme la maîtrise du langage…) .
Dans une très belle scène qui peut rappeler certains moments de « L’enfant sauvage » de Truffaut , Bercot oppose la violence nerveuse et le désespoir du « sauvageon » Malony , apparemment incapable d’écrire une simple lettre, à la patience, je dirais, à la foi, de son éducatrice qui refuse de céder, qui refuse d’abandonner parce qu’elle croit en ce qu’elle fait.
Cette séquence est emblématique de tout le film.
Dans un entretien Emmanuelle Bercot cite la phrase d’un juge pour enfant : « L’éducation est un droit fondamental. Il doit être assuré par la famille et si elle n’y parvient pas, il revient à la société de l’assumer… ».
C’est de ce devoir social dont il est question.
La quasi totalité du film se déroule dans des lieux de l’institution : bureau du juge, salles d’audience, centre d’éducation, et même prison. C’est dans ces lieux que les éducateurs et la Juge proposent des solutions à Malony.
C’est un dialogue entre un individu perdu, balloté par des forces sociales et familiales qui le dépassent, et une institution, incarnée par d’autres individus motivés par une forte conviction, que donne à voir « La tête haute ».
Le film balance constamment entre deux pôles : la violence, l’ignorance des limite d’un côté ; l’éducation et la possibilité de vivre ensemble de l’autre.
Les choix de mise en scène de Emmanuelle Percot focalisent l’action sur cette dialectique conflictuelle.
Le casting est particulièrement significatif : Catherine Deneuve en Juge pour enfant à la fois ferme et pleine d’empathie donne à son personnage toute l’autorité et le rayonnement humain que permet son statut de grande actrice.
Benoit Magimel est très crédible dans son rôle d’éducateur anxieux auquel il apporte aussi le poids de sa notoriété d’acteur.
A noter que ces deux acteurs incarnent deux fonctions majeures de l’institution judiciaire : le juge pour enfant et l’éducateur. Dans le cadre de leur fonction , ils agissent tout au long du film de manière très humaine en conciliant sens des responsabilité et émotions.
D’autre personnages du film ne sont pas traités de la même manière : l’avocat, le procureur et le principal du collège semblent englués dans le rôle social de leurs fonctions et peu perméables aux émotions.
( Aux émotions démocratiques , comme l’empathie, qui pourraient être la conditions de possibilité du vivre ensemble en société).
Le choix de cette distribution d’acteurs connus et reconnus pour jouer des rôles « sociaux » est explicitement esthétique : Emmanuelle Bercot choisit clairement la fiction pour exprimer un point de vue artistique et politique sur une réalité.
La lumière très travaillée et la musique, parfois surprenante mais toujours intéressante vont dans le même sens : ce film, par ailleurs, très documenté, n’est pas un documentaire, mais en tant que fiction assumée il traite effectivement du réel.
Pour toutes ces raisons, on ne s’ennuie jamais pendant la projection.
L’émotion produite par le jeu du jeune acteur débutant, Rod Paradot et par celui Sara Forestier en mère contradictoire et poignante y est aussi pour beaucoup.
La mise en scène ne condamne jamais ces deux personnages . Dans leurs manques et leurs excès il pourraient exaspérer ; le regard de la cinéaste insiste sur leur humanité profonde.
Emmanuelle Bercot signe donc un film courageux qui donne à voir et à penser…
Avec un point de vue assumé qui peut être commenté et discuté mais qui ouvre effectivement la réflexion : que dire, par exemple, du dernier plan du film ?
Jean-François Cazeaux