LA ZONE D’INTÉRÊT

LA ZONE D’INTÉRÊT

LA ZONE D’INTÉRÊT

Réalisateur(s) : Jonathan Glazer
Acteur(s) : Christian Friedel, Sandra Hüller, Johann Karthaus
Genre(s) : Guerre, Drame, Historique
Origine : Américain, Britannique, Polonais
Durée : 1h46
Synopsis : Le commandant d’Auschwitz, Rudolf Höss, et sa femme Hedwig s’efforcent de construire une vie de rêve pour leur famille dans une maison avec jardin à côté du camp.

Parmi les euphémismes glaçants qui émaillaient le langage nazi, l’expression « zone d’intérêt » désignait les 40 kilomètres carrés entourant le camp d’Auschwitz et dans lesquels nombre d’entreprises usaient d’une main d’œuvre esclave. Tourné dans la proximité dudit camp – avec les complications logistiques et psychologiques que l’on peut imaginer – ce nouveau film du réalisateur de Under The Skin (2014) est l’adaptation du roman de Martin Amis, dans une mise en scène statique, implacable, impassible. Partant de la fiction allusive du romancier, Glazer a intégré beaucoup de réalité biographique et Paul Doll, le commandant du roman, est redevenu le tristement célèbre Rudolf Höss qui l’a inspiré. Dans l’intervalle, Glazer et son équipe ont enquêté plusieurs années durant, afin d’être au plus près de ce que fut le quotidien de cette famille dont le foyer tout neuf jouxte un mur cachant le plus grand centre de mise à mort d’êtres humains jamais construit. Œuvre vertigineuse sur le déni, La Zone d’intérêt demeure de bout en bout d’un seul côté de ce mur séparant les Höss de l’horreur gigantesque à laquelle ils doivent leur statut social. Un « sinistre sentiment d’occultation » (tel que nommé par Glazer) corrode chaque instant de ce quotidien faussement bucolique que le couple Höss s’applique à faire exister le plus normalement possible sous nos yeux incrédules. (Même la démarche rustaude d’Hedwig – géniale Sandra Hüller – trahit instantanément l’escroquerie de son rang de femme de commandant.) Le génie des décors, pensés pour des prises de vue les moins esthétisantes et les plus exactes possible (tournées sans interruption devant des caméras fixes, partiellement cachées des comédiens) instaure une ambiance clinique, d’une inquiétante méticulosité. Sauf que le hors champ de ce film est immensément puissant, nimbé d’une bande-son terrifiante parvenant d’au-delà le mur, d’une manière aussi incontrôlable que l’odeur des fours crématoires poussés à plein régime. (En symétrie à La Zone d’intérêt, pourrait répondre Le Fils de Saul de László Nemes (2015), tout aussi enfermé dans la partialité oppressante du point de vue – celle, totalement subie, d’un Sonderkommando.) Peu à peu, le film de Glazer déborde littéralement de l’horreur que ses protagonistes tentent de nier (saturations chromatiques envahissantes, séquences en négatif dont la réalité questionne) et provoque d’inconfortables questionnements quant à notre contemporaine propension au cloisonnement, quant à la reproductibilité de l’Histoire, à partir du moment où elle devient muséale… Un film singulièrement marquant.
⎥ Nicolas Milesi

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