L’Attachement

De films en films, depuis La Tête de maman en 2007, puis Du vent dans mes mollets en 2012, Carine Tardieu cultive un talent grandissant dans la peinture ouvragée et subtile des liens familiaux en particulier et des rapports humains en général. En 2022, Les Jeunes Amants, son plus grand succès public, décrivait l’histoire d’amour mélodramatique entre Shauna, 71 ans, condamnée par la maladie (incarnée par une Fanny Ardant bouleversante) et Pierre, 45 ans (Melvil Poupaud), vivant passionnément chaque instant d’une histoire d’amour condamnée d’avance. Avec L’Attachement, la cinéaste adapte librement L’Intimité, le roman d’Alice Ferney, dans lequel la mort a une présence inaugurale, avant de laisser une place immense à la vie, aux enfants qui grandissent et à ces sentiments qui se construisent de jour en jour, loin de toute injonction sociétale. Si Carine Tardieu confesse préférer de plus en plus « une forme de discrétion dans la mise en scène », c’est pour mieux donner du champ à sa direction d’acteur·ice·s qui fait des merveilles. Réalisatrice très directive et attachée au texte, elle reconnaît par exemple avoir beaucoup œuvré à réfréner le naturel expansif de Valeria Bruni-Tedeschi ou encore, avoir « travaillé au corps Raphaël Quenard pour que le personnage prenne la main sur l’acteur dont la personnalité est tellement affirmée et imposante ». À l’arrivée, Valeria Bruni-Tedeschi est transfigurée, Raphaël Quenard est (enfin) différent de ses rôles précédents et, avec Pio Marmaï et Vimala Pons, tous sont surprenants de subtilité, parfois bouleversants de retenue, là où nombre de films aiment les montrer davantage débridés. Si L’Attachement hisse ses comédiens déjà (re)connus jusqu’à un état de grâce, le jeune César Botti (cinq ans et demi au moment du casting) ne dépareille pas, apportant sa désarmante lumière à cette chronique touchante et crédible de bout en bout. Interrogeant courageusement la non-évidence de l’instinct maternel, les égarements auxquels le deuil entraîne, ou encore les différences de formes que recouvre le féminisme, L’Attachement est d’une modernité réjouissante, porté par des personnages à la fois pudiques et à la liberté de pensée débraillée, rétifs aux embuscades sociales. Un rêve de conscience de soi dont la vision fait un bien fou. – Nicolas Milesi