L’Aventura

Suite à Voyages en Italie (2023) – avec un S de plus que dans le titre de Roberto Rossellini – la singulière Sophie Letourneur livre le deuxième volet de ce qui est annoncé comme une trilogie : L’Aventura – avec un V de moins que dans le titre d’Antonioni. Après l’escapade romantique en Sicile d’un couple en crise que constituait le premier film, nous retrouvons Sophie (jouée par la cinéaste elle-même) et son compagnon Jean-Phi (Philippe Katerine, dont on ne sait jamais où son jeu commence) accompagnés de leurs deux enfants : Claudine, 11 ans, et Raoul, 3 ans, pour des vacances quasi-improvisées en Sardaigne. À cent lieues du cinéma dominant, le scénario (à nouveau co-signé avec Laetitia Goffi) assume une chronologie discrètement chamboulée, avec des péripéties microscopiques. Dans ce « rien » apparent du récit, l’impression de réel est confondante et encore plus prégnante que dans les films précédents de la réalisatrice (Les Coquillettes, Énorme). C’est que le film est composé comme une musique, à partir d’enregistrements réels (issus d’archives personnelles ou de répétitions avec les comédiens) qui sont réagencés et retranscrits pour devenir un scénario « qui est comme une partition. » Sur le plateau de tournage, charge aux comédiens équipés d’une oreillette de suivre, à la virgule près, cette véritable « bande-son des dialogues du film », telle que nommée par Sophie Letourneur. À l’arrivée, le réalisme intra-familial est troublant, avec ses liens souterrains, ses souvenirs rattachés à des détails identifiables par les seuls membres, ses allusions plus ou moins opaques (souvent drolatiques pour qui n’est pas de la famille), ou encore ses triviales préoccupations – d’autant plus quand un enfant de 3 ans fait partie de la troupe ! À force d’étonner, d’intriguer et d’amuser, L’Aventura enchante. Entre joie et mélancolie, ce cinéma-là dépeint avec beauté l’essence de ce qui fait une famille : un entre-soi toujours un peu imperméable au monde extérieur, avec là-dedans la place mouvante de chacun et les souvenirs qui s’imposent sans aucune objectivité. – Nicolas Milesi