Passé la sidération et l’effroi, on est saisi par l’exceptionnelle pertinence avec laquelle le cinéma est utilisé dans ce premier long métrage de László Nemes. Ce jeune cinéaste hongrois fut l’assistant de Béla Tarr (L’Homme de Londres, en 2007) et semble en avoir hérité une forte singularité dans la rigueur formelle.
Dès le premier plan – flou – du film, surgit le regard de Saul Ausländer, juif hongrois et membre du Sonderkommando, dont la caméra ne lâchera plus l’unique point de vue. Alors qu’aucun contre-champ ne nous est asséné, ce seul regard est épouvantable, tant il trahit de terreur et de déshumanisation volontaire. Point de héros ici, mais un homme (Géza Röhrig, stupéfiant) à la gestuelle et aux regards contraints, qui lutte pour ne pas rejoindre le néant. L’immense occupant du film est le hors-cadre, l’arrière-plan flou, toutes ces images de mort irreprésentables. Point de scénario, ici non plus. Ou plus exactement un scénario lui aussi strictement chevillé au corps de Saul, presque réduit à cette obsession qui le hante : donner une sépulture à ce garçon dont nous ne verrons même pas les traits, respecter le corps mort, remettre du sens dans cet enfer qui n’en a plus. Le film imbrique les séquences dans lesquelles on devine la mise en scène anémique, ressassée, du meurtre industriel (faire se déshabiller les convois, les rassurer, les faire entrer dans les chambres à gaz) avec des séquences où émergent des péripéties : les appareils photos introduits chez les Sonderkommandos par la résistance polonaise, ou encore la révolte des Sonderkommandos d’Auschwitz-Birkenau en octobre 1944… Ces faits sont connus, mais, pour autant, Le Fils de Saul n’a pas réellement vocation à incarner l’Histoire par de la fiction, à reconstituer. Dans sa forme parcellaire, brutale et inquiétante (à l’instar de la bande-son qui est un chef d’œuvre de mixage), ce film livre humblement les bribes d’une réalité hic et nunc, dans ce complexe de mort, dont la préhension globale paraît impossible (les quelques 10h du Shoah de Claude Lanzmann y parviennent- elles ?). Le Fils de Saul se veut un «regard simple et archaïque», selon son réalisateur László Nemes. C’est sobrement dit pour décrire le résultat d’une grande rigueur historienne doublée d’un talent cinématographique hors-pairs. Grand Prix du Festival de Cannes 2015, Le Fils de Saul est en lice pour l’OscarTM du Meilleur Film Etranger. Il a le nôtre. ⎥ Nicolas Milesi

Le Fils de Saul
Réalisateur(s) : László Nemes
Acteur(s) : Géza Röhrig, Levente Molnár, Urs Rechn
Genre(s) : Drame
Origine : Hongrie
Durée : 1h47
Synopsis : Octobre 1944, Auschwitz-Birkenau.
Saul Ausländer est membre du Sonderkommando, ce groupe de prisonniers juifs isolé du reste du camp et forcé d’assister les nazis dans leur plan d’extermination. Il travaille dans l’un des crématoriums quand il découvre le cadavre d’un garçon dans les traits duquel il reconnaît son fils. Alors que le Sonderkommando prépare une révolte, il décide d’accomplir l’impossible : sauver le corps de l’enfant des flammes et lui offrir une véritable sépulture.