Les Braises

Presque sept ans après son apparition, le plus grand mouvement de contestation sociale de notre histoire récente fait son entrée dans la fiction cinématographique – même s’il était déjà question des Gilets jaunes en arrière-plan des histoires racontées par Kervern et Delépine dans Effacer l’historique (en 2020) et par Catherine Corsini dans La Fracture (en 2021). Jusqu’ici, quelques films documentaires réalisés plus ou moins « à chaud » s’étaient attelés à décrire ce mouvement spontané qui initia des centaines de milliers de citoyens au militantisme politique, hors des structures traditionnelles d’engagement. À travers Les Braises, Thomas Kruithof propose un récit d’une belle subtilité pour un sujet moult fois caricaturé dans les médias. Il retrouve son co-scénariste Jean-Baptiste Delafon, avec lequel il avait écrit Les Promesses (2021), un film dans lequel Isabelle Huppert et Reda Kateb incarnaient des professionnels de la politique (une mairesse et son directeur de cabinet) en proie aux ressorts intimes de leur engagements respectifs. « Cette fois, nous voulions aborder la politique sans le métier, sans la quête de pouvoir : raconter la découverte de l’engagement militant et observer la façon dont il peut entrer en collision avec la vie amoureuse, la vie familiale» déclare le cinéaste. Ce sont ces « braises » polysémiques (à la fois contestation sociale d’une part et flamme amoureuse mise à l’épreuve d’autre part) que ce film dépeint avec une grande finesse, dans une narration attentive et tendue qui jamais ne se devine. À travers un cadre en scope propre à anoblir les situations sociales les plus asservies à la trivialité du réel, le récit s’adosse aux témoignages et aux conseils d’ancien Gilets jaunes qui ont été sollicités tout au long de la fabrication du film. À l’arrivée, Les Braises est un film gris et jaune fluo dans lequel on se sent paradoxalement bien à force d’y percevoir une « vibration collective » (telle que définie par le cinéaste également pendant le tournage) peuplée de personnages bien incarnés, attachants (Efira et Worthalter sont parfaits). Le film tente des réponses à la question du « phénomène » Gilets jaunes, tout en en rappelant les enjeux, dont certains demeurent. Les Braises décortique avec beaucoup de pertinence comment les petits mépris accumulés alimentent la colère sociale, avant que l’engagement collectif qui en découle ne soit porté par l’espoir d’un avenir meilleur. NICOLAS MILESI