Mains baladeuses. Attouchements, humiliations, violences. Au Caire, dans les bus, dans les rues poussiéreuses et surpeuplées, le harcèlement sexuel est un cauchemar ordinaire. Jeunes et moins jeunes, voilées ou sexy, peu importe : toutes les femmes sont des proies, des corps publics. Pour son premier long métrage, le réalisateur égyptien Mohamed Diab n’évoque pas la révolution qui a récemment bouleversé son pays, mais en soutient une autre, encore à accomplir : celle de ses compatriotes féminines, dans une société dominée par les mâles, leurs droits, leurs appétits. Etouffée d’interdits religieux, de tabous moraux.
Inspiré de faits réels, le film croise les destins à la manière d’un Alejandro Gonzáles Iñárritu (Amours chiennes, Biutiful), que le réalisateur admire beaucoup. Récits parallèles, nerveux, captivants, efficaces : Fayza, la mère de famille traditionaliste, Seba, l’intellectuelle révoltée, et Nelly, la jeune fille moderne, n’ont aucun point commun, sauf le pire : des inconnus se sont servis d’elles, un jour ou souvent, pour assouvir leurs frustrations. Fayza se fait tripoter dans le bus sur le chemin du travail. Nelly, malmener et renverser dans la rue par un automobiliste libidineux. Quant à Seba, elle échappe de peu à un viol collectif, après un match de foot. Ces scènes sont filmées à l’arrache, comme des images volées, des flashs traumatiques, nauséeux. Un regard torve, un corps qui se colle ou bien des cris dans la cohue… C’est intense, mais sans la moindre complaisance. D’ailleurs, le cinéaste ne s’attarde pas : ce qu’il lui importe de montrer, ce sont les conséquences, la manière dont les événements détruisent le quotidien de chacune. Perte du désir, rupture, indifférence crapoteuse des autorités, gêne de la famille qui parle de « déshonneur »… Et puis la rage, qui monte comme une fièvre incontrôlable.
Chacune à sa façon, les trois interprètes, émouvantes et fortes, ajoutent de la complexité à leurs personnages. Car ces Femmes du bus 678 sont tout sauf de la chair à mélo. Quand leurs vies se croisent, leurs colères qui se joignent dépassent ce qu’elles ont subi. Deviennent politiques. Quelle réponse apporter à l’oppression ? Fayza, la plus humble, la moins « éduquée », choisit la violence, presque une forme de terrorisme. Dans son bus, elle se met à blesser ses harceleurs. Droit au sexe, à coups d’épingle, furtifs et vengeurs. Les autres la soutiennent et la protègent, un temps, mais cherchent des réponses plus militantes, des voies plus structurées. De leur difficile cheminement naît ce film alarmant, lucide, mais résolument ouvert à l’espoir. ⎥ Cécile Mury
Les femmes du bus 678
Réalisateur(s) : Mohamed Diab
Acteur(s) : Nahed El Sebaï, Bushra Rozza, Nelly Karim
Genre(s) : Drame
Origine : Egypte
Durée : 1h40
Synopsis : Fayza, Seba et Nelly, trois femmes d’aujourd’hui, aux vies totalement différentes, s’unissent pour combattre le machisme impuni qui sévit au Caire dans les rues, dans les bus et dans leurs maisons. Déterminées, elles vont dorénavant humilier ceux qui les humiliaient. Devant l’ampleur du mouvement, l’atypique inspecteur Essam mène l’enquête. Qui sont ces mystérieuses femmes qui ébranlent une société basée sur la suprématie de l’homme ?