L’Étranger

François Ozon est l’un des cinéastes les plus doués de sa génération capable de passer du drame à la comédie, de la chronique à l’adaptation littéraire. Il est aussi l’un des réalisateurs les plus prolifiques (24 films en 25 ans !), et, au passage, l’un des plus fidèles du Jean Eustache. Le 16 octobre, ce sera sa 6e venue en six ans, après Grâce à Dieu en 2019, Été 85 en 2020, Tout s’est bien passé en 2021, Mon crime en 2023 et Quand vient l’automne en 2024. Autant dire qu’il est chez lui à Pessac, sachant qu’en plus, il a souvent la bonne idée de venir accompagné, cette fois-ci ce sera le cas avec Rebecca Marder. Pour son 25e titre, François Ozon a mis la barre très haut : adapter l’un des romans français les plus lus au monde, traduit dans 66 langues : L’Étranger (1941) d’Albert Camus. Renoir, Bergman, Bolognini, Losey et Brooks s’y sont cassé les dents avant que Visconti ne relève le gant pour un résultat décevant. Ozon s’y attelle six décennies plus tard avec un regard sur la période coloniale algérienne qui a bien changé. Il convoque des habitués de sa « troupe », outre Rebecca Marder (Mon crime), Pierre Lottin (Quand vient l’automne) et dans le rôle de Meursault, Benjamin Voisin, qu’il a révélé dans Été 85, et qui incarne donc cet homme étranger au monde qui l’entoure, détaché de tout, jusqu’à ses liens affectifs avec sa propre mère. François Ozon nous propose de nous transporter dans l’Algérie française et il ne manque pas de souligner les règles de ségrégation qui y sévissaient alors. Il prend le parti de filmer l’action dans une photographie en noir et blanc, lumineuse, sublime, presque irréelle, comme pour souligner la perception d’un être asocial sur qui les événements les plus dramatiques glissent comme dans un rêve éveillé. François Ozon fait magistralement résonner, en 2025, les questionnements d’Albert Camus. Il nous interpelle avec cette figure du meurtrier Meursault à qui il manque la qualité sans laquelle il ne peut y avoir de lien : l’empathie. – FRANÇOIS AYMÉ