« Notre maison est devenue « une usine à épouses ! », s’écrie Lale, gamine turque fougueuse, interprète de Deniz Ergüven, avec vivacité et effronterie , vivacité que l’on retrouve tout au long du film . Le titre lui-même, Mustang , évoque la rapidité et la liberté catactérisant le rythme de cette histoire dont les héroïnes pourraient rappeler à certains spectateurs les sœurs de Virgin Suicides mais cette comparaison a bien des limites. Ici, dans une région lointaine de Turquie, en Anatolie, cinq sœurs orphelines de 12 à 16 ans, pleines de vitalité, de complicité, de rires sont soudainement « enterrées » dans la maison familiale, lieu clos, sorte de harem contrôlé par un homme machiste et conservateur, leur oncle. L’insouciance du début fait rapidement place à une atmosphère lourde, oppressante que les adolescentes destinées à être mariées au plus vite tentent de déjouer ou de s’accommoder. Tout est étouffant : la maison dont elles ne peuvent sortir, le jardin muni de grilles, entouré de murs, la végétation envahissante, autant d’éléments qui les coupent du monde extérieur.
Nous avons vite compris que Deniz Erguven veut dénoncer le carcan des traditions emprisonnant les filles, du moins en milieu rural, les empêchant de faire des études, les étouffant dans des robes sacs « couleur de merde », comme dit la plus jeune, celle qui rue le plus dans les brancards – dans laquelle se projette vraisemblablement la réalisatrice elle-même – , niant toute sexualité féminine, les mariant contre leur gré, les cantonnant à des tâches ménagères, leur volant leur jeunesse, dans un contexte archaique et corseté.
Les images des sœurs lovées, emmêlées sur des coussins et des tapis persans dans leur chambre, en maillot ou nuisette, trompant l’ennui comme elles le peuvent, riant, se disputant, leurs longs cheveux jouant sur leur dos, dans un torrent de lumière, sont empreintes d’une beauté et d’une sensualité indéniables. A ces moments très esthétiques succèdent des passages trépidants …Virée rocambolesque lors d’un match de foot interdit aux hommes, cérémonie de noces tournant au vinaigre, tentative de fuite… Le spectateur est tenu en haleine, tour à tour émerveillé par la beauté des actrices, outré par leur vie retrécie et sans avenir, ému par leur connivence et leurs moyens dérisoires de résister.
Prix Europa à la Quinzaine des réalisateurs, ce premier long métrage de Deniz Ergüven rempli d’énergie, abordant la montée et les dégâts du conservatisme religieux, ne peut laisser insensible, malgré la légèreté de ton et des instants de franche comédie où les adolescentes sont déchaînées car il traite d’ un problème grave, la liberté des femmes, toujours d’actualité dans de nombreux pays.
– Hélène Hanusse
Mustang
Réalisateur(s) : Deniz Gamze Ergüven
Acteur(s) : Erol Afsin, Güneş Nezihe Şensoy, Doğa Zeynep Doğuşlu
Genre(s) : révélation de la quinzaine des réalisateurs
Origine : Turquie
Durée : 1h34
Synopsis : Dans un village reculé de Turquie, cinq sœurs déclenchent un scandale aux conséquences inattendues. La maison familiale se transforme progressivement en prison, et les mariages commencent à s’arranger. Animées par un même désir de liberté, elles vont détourner les limites qui leur sont imposées.