Après le sublime et crépusculaire Saint Laurent (2014), le nouveau film – nocturne – de Bertrand Bonello fait preuve d’une beauté cinématographique sidérante qui devrait laisser pantois plus d’un spectateur. Devant Nocturama, l’actualité la plus brûlante – le terrorisme – perturbera forcément la perception de ce regard d’un cinéaste sur notre monde occidental et sur ce qui meut sa jeunesse. La première partie du film, justement, n’est que mouvements, véritable ballet au montage millimétré de quelques jeunes de tous milieux sociaux dont on perçoit peu à peu la nature clandestine des préoccupations. Puis plusieurs bombes explosent dans Paris. Pas de verbe ou si peu, à l’image du film tout entier, davantage préoccupé par le « comment » plutôt que par le « pourquoi ». L’intention de Bonello est limpide : « poser un regard plus qu’une analyse ». Comme issue d’un autre monde, (re)connu et rassurant, c’est l’actrice Adèle Haenel (que Bonello avait dirigée dans L’Appolonide – Souvenirs de la maison close) qui livre la seule explication du film, sibylline et frustrante : « Ça devait arriver ». La puissance de Nocturama est dans ce mystère jamais explicité, même pas dans la seconde partie du récit, lorsque vient le temps de la réclusion des « ennemis d’Etat » dans le grand magasin désert. Dans ce succédané du monde, artificiel et simpliste, la caméra de Bonello ne lâchera plus les jeunes poseurs de bombes, reléguant dans un hors champ silencieux le monde réel qu’ils refusent et qui semble imperméable à la micro-société qu’ils constituent. Le huis clos nuiteux sert de décor à des scènes incongrues au cours desquelles on s’interroge sur le rapport au réel de cette jeunesse ; elle semble à la fois sans idéologie et quasi-indifférente à un matérialisme de toute façon hors d’atteinte. L’utopie qui mène cette jeunesse paraît d’autant plus vertigineuse qu’elle n’est jamais déclarée (encore moins verbalisée), mais ici plutôt devinée, dans le flash back d’une scène de danse (de transe ?) du groupe ou, ailleurs, aussi mutique qu’un logo sur un tee-shirt (comme pouvait l’être celui du Elephant de Gus Van Sant). C’est le propre des utopies que d’être intenables et la réalité du monde reprend le dessus dans une mémorable séquence finale. Le temps s’y étire tragiquement, au son d’une musique entêtée qui nous renvoie aussi à notre propre jeunesse et à son lot d’idéaux enfuis. ⎥ NICOLAS MILESI

NOCTURAMA
Réalisateur(s) : Bertrand Bonello
Acteur(s) : Finnegan Oldfield, Vincent Rottiers, Hamza Meziani
Genre(s) : Drame, Thriller
Origine : France
Durée : 2h10
Synopsis : Paris, un matin. Une poignée de jeunes, de milieux différents. Chacun de leur côté, ils entament un ballet étrange dans les dédales du métro et les rues de la capitale. Ils semblent suivre un plan. Leurs gestes sont précis, presque dangereux. Ils convergent vers un même point, un Grand Magasin, au moment où il ferme ses portes. La nuit commence.