Acrophobie… un nom scientifique pour le vertige maladif qu’éprouve l’inspecteur Ferguson. Cette terreur du vide l’a poussé à abandonner la police. Un ancien ami l’engage pour surveiller son épouse, Madeleine, au comportement étrange.
Vertige… Déséquilibré, aspiré, le spectateur sombre profondément dans un étouffant mystère. Celui du corps, double, fragile, ambigu. Celui des âmes, ténèbres obstinées de la passion amoureuse, de la trahison. Sur la magnifique musique de Bernard Herrmann, Hitchcock ouvre un gouffre subtil, lente et terrible avalanche de trompe-l’oeil. Le doute gangrène tout : le décor, majestueuse promenade dans San Francisco et ses environs ; les personnages, de l’apparente rigidité de James Stewart aux deux visages de Kim Novak. Reste le suspense, épuré, nu comme une charpente. Trouble discours sur la passion, sur l’illusion amoureuse, le film joue avec ironie sa partition de mort et d’angoisse.
Dans cette oeuvre « nécrophile », selon le maître lui-même, le cinéma, art trompeur et fascinant, abat ses cartes : la duperie dont le héros est victime ressemble à la nôtre, public crédule. Hitchcock propose un malicieux jeu de miroirs mais ne donne aucune clé. Ainsi, il brouille les pistes et pervertit toute interprétation préfabriquée. Sueurs froides se savoure avec amertume, comme un brouet maléfique et génial. — Cécile Mury (Télérama)