Sorti en 1953, Tortillard pour Titfield marque l’entrée des studios Ealing dans le monde de la couleur. À cette occasion, le film donne vie à la petite bourgade de Titfield, à ses prés verdoyants, ses murets usés par le temps, ses animaux qui paissent sur les voies, et surtout à son vénérable petit bout de chemin de fer menacé de fermeture et d’être phagocyté sans autre forme de procès par une vile entreprise de bus. Qu’à cela ne tienne : il suffit de quelques irréductibles pour tenter l’impossible – faire survivre la ligne en la faisant fonctionner par eux-mêmes. Surtout quand l’ambitieux propriétaire de la ligne de bus ne l’entend pas de cette oreille…
La figure du geek, souvent attaché aux mondes de l’imaginaire, ne date pas d’hier : voir pour preuve ces résistants de Titfield, qui ont pour principale qualification de connaître sur le bout des doigts la théorie ferroviaire. Pour la pratique, cela dit, c’est une autre histoire. En parallèle, on trouve le gentleman bourgeois légèrement alcoolique campé par l’inaltérable Stanley Holloway et Gabrielle Brune, la femme qui garde la tête sur les épaules. Mais ils ne sont qu’accessoires. Les personnages principaux sont bien les hommes, et leur obsession du petit train ou du bus, voire, occasionnellement, du rouleau compresseur. En substance, l’intrigue se noue donc autour de la question de savoir qui a le plus beau jouet, plus que la traditionnelle opposition entre le puissant et le faible, le bureaucratique et l’humain.
Quatre ans ont passé depuis Passeport pour Pimlico et Whisky à gogo ! : peut-être le poids de la loi sur le quotidien britannique s’est-il suffisamment atténué. C’est en tout cas le sentiment du scénariste T.E.B. Clarke et celui des studios Ealing, qui livrent ici une comédie douce, sans vraiment de fil conducteur. Cela permet de construire des personnages outranciers, mais également terriblement attachants, de placer des séquences inventives, drôles et fondamentalement inconséquentes. Tortillard pour Titfield se pose comme une comédie efficace et tendre, mais dont la conscience sociale s’atténue sensiblement, par rapport aux précédents films des studios Ealing. Si on n’en est pas encore au simpliste et envahissant « c’était mieux avant » qui sous-tendra les films suivants du studio, ça commence à y ressembler très fort. La plus grande qualité de Tortillard pour Titfield reste sa capacité à célébrer l’excentricité britannique avec tolérance et tendresse.
⎥Critikat