« Emprisonné puis jugé en 2010, condamné à six ans de prison et à une interdiction de tourner la moindre image durant vingt ans, Jafar Pana- hi est depuis lors assigné à résidence. L’Iran étant de toute évidence un pays prodigieux, aucune de ces mesures de rétorsion n’a réussi à l’empêcher de tourner des films et de les faire sortir du pays, selon des voies mystérieuses qui n’appartiennent qu’à lui. […] Trois visages se présente ainsi comme une nouvelle variation destinée à figurer la
claustration du metteur en scène, qui oscille depuis quatre films entre l’appartement et la voiture. C’est ici de nouveau la voiture, mais prise pour un voyage qui nous emmène plus loin – dans les régions turco- phones et montagneuses du Nord-Ouest iranien – et que Panahi, dans son rôle récurrent de cinéaste-acteur, se contente de convoyer. La sé- quence d’ouverture, filmée au téléphone portable et en contre-plongée par l’intéressée, est celle d’une jeune fille qui se pend dans une grotte, non sans avoir adressé, de la plus confuse des manières à un person- nage qu’on ignore, un pathétique appel à l’aide. Brisé net par le saut dans le vide de la fatale héroïne, ce plan inaugural est suivi d’un raccord qui va s’évertuer d’en renouer et d’en démêler les fils. […] Il s’ensuit, comme on dit, une cascade de péripéties plus ou moins étranges, drôles et pittoresques confrontant notre couple d’enquêteurs [la renommée actrice Mme Jafari et le célèbre cinéaste M. Panahi] aux autochtones, dans une quête de vérité qui tient plus du jeu de cache-tampon que de la poursuite du Graal. On y croise, notamment, un vieux sage, un tenant cromagnonesque du patriarcat, une vieille qui teste sa tombe, des conducteurs folâtres, des fans de séries télévisées, et une jeune fille qui voudrait, coûte que coûte, vivre sa vie dans une société passa- blement passionnée par la mort. Le tout est terriblement kiarostamien, avec des réminiscences précises de Où est la maison de mon ami ? (1987), du Goût de la cerise (1997) et du Vent nous emportera (1999). Autant de films qui jouent, eux aussi, la vie contre la mort, l’exorcisme de la fatalité. Une situation désormais familière à Jafar Panahi, dont la fidélité au maître défunt est une manière de jouer sa propre liberté. » ⎥ LeMonde
TROIS VISAGES
Réalisateur(s) : Jafar Panahi
Acteur(s) : Behnaz Jafari, Jafar Panahi, Marziyeh Rezaei
Genre(s) : Drame
Origine : Iran
Durée : 1h40
Synopsis : Une célèbre actrice iranienne reçoit la troublante vidéo d’une jeune fille implorant son aide pour échapper à sa famille conservatrice... Elle demande alors à son ami, le réalisateur Jafar Panahi, de l’aider à comprendre s’il s’agit d’une manipulation. Ensemble, ils prennent la route en direction du village de la jeune fille, dans les montagnes reculées du Nord-Ouest où les traditions ancestrales continuent de dicter la vie locale.