La poésie est certainement la forme d’art la moins industrielle qui soit. Expression pure, viscérale, libérée des contingences, elle innerve tout entier le second long métrage du réalisateur colombien Simón Mesa Soto. D’abord à travers son personnage principal, Óscar, un poète sur la touche et désillusionné qui va être amené à renouer avec sa propre flamme. Et puis dans la forme même du film, qui surprend par une liberté aussi pertinente que réjouissante; Un poète s’inscrit à rebours du cinéma conventionnel, de ses images propres et de sa narration fluide et sans heurts. Sorte de quatrain cinématographique au piqué suranné, Un poète est autant le portrait d’un homme qui doute qu’une ode à la dignité qu’aucun sentimentalisme facile ne saurait venir appauvrir. Tandis qu’Óscar affronte ses dilemmes de père manqué et d’artiste ignoré (il se rêve en Bukowski), le montage arythmique du film, brut comme un premier jet, révèle l’essence véritable des situations autant que la fragilité de son héros. Ce dernier, auquel Ubeimar Ríos prête son allure asymétrique si expressionniste, est peu à peu bouleversant de candeur et de noblesse mêlées – à tel point que le jury du Festival de Biarritz Amérique Latine a couronné son interprétation. Un prix d’autant plus inattendu qu’Ubeimar Ríos est, dans la vraie vie, un instituteur! Et c’est bien la relation professeur-élève d’Óscar avec la jeune Yurlady qui est au cœur d’un récit oscillant entre drame et comédie, avec, d’un côté, la tragédie des inégalités de classes très marquées dans la société colombienne, et, de l’autre, la satire jubilatoire lorsque les privilégiés se heurtent à l’authenticité d’une jeune fille modeste et affranchie de toute validation sociale. Un poète illustre avec mordant l’ambivalence de la création artistique et du mentorat. Nombre de cinéastes habiles à réquisitionner les malheurs du monde pour y adosser leur œuvre, seraient bien inspirés d’aller le voir…
– NICOLAS MILESI



